Cette question appelle plusieurs réponses possibles.
1. D’un point de vue formel, l’affirmation est exacte. En démocratie, les élus et les représentants de l’Etat ont le monopole des décisions publiques. Cela se justifie car ils tirent leur légitimité du suffrage universel (ou de délégations de pouvoir dans le cas des agents de la fonction publique). Ils sont également responsables des décisions prises. D’ailleurs, la concertation ne remet pas ce principe en question car aujourd’hui, la très grande majorité des processus participatifs ne sont pas décisionnels. Lorsqu’ils le sont (cas de certains budgets participatifs, par exemple), c’est parce qu’il y a eu une délégation de pouvoir faite dans les règles. Dans les autres cas, la concertation ne vise pas à décider à la place des élus mais à contribuer à leur décision. Ceux-ci restent maîtres de l’arbitrage final.
2. Cependant, la concertation répond à des attentes. Si la concertation est inscrite dans la loi depuis les années 1990 dans de nombreux domaines, c’est qu’il y a des raisons. Le recours à la concertation s’explique par plusieurs facteurs :
– elle répond à de multiples attentes sociales, provenant de différents acteurs (pas seulement les citoyens), qui souhaitent des décisions plus démocratiques, ou plus justes, ou encore plus efficaces… Pour un aperçu de ces attentes voir : la concertation, à quoi ça sert ?
– elle est motivée par une crise de confiance des citoyens envers les élus et envers les experts. Qu’on la considère comme justifiée ou non, c’est une réalité qui s’impose. Les processus participatifs visent aussi à redonner de la légitimité aux décisions prises en associant les citoyens aux difficultés de la décision publique. Voir note de lecture : Le nouvel esprit de la démocratie
– en matière d’environnement, la décision publique ne fait pas tout. Il faut coordonner des acteurs publics et privés (par exemple les agriculteurs, les associations, les professionnels du tourisme, les entreprises…), ces derniers sont souvent maîtres des décisions qu’ils prennent. La contrainte envers eux (par la loi) n’est pas toujours possible ni efficace. Il est préférable de dialoguer afin de coordonner les décisions publiques et privées pour l’intérêt de tous. Voir note de lecture : Environnement, décider autrement.
3. Cette objection renvoie à la légitimité de la prise de décision. La question de la légitimité est fort… légitime, mais on peut aussi poser celle de l’efficacité. Or, l’expérience montre que dans la plupart des cas, les décisions élaborées collectivement, au terme de débats contradictoires, sont plus efficaces car les débats permettent de mettre en avant des dimensions qui, sans cela, n’auraient pas été prises en compte ou auraient été sous-estimées. Autrement dit, si les élus sont légitimes pour décider, ils ne sont pas omniscients. S’entourer d’avis d’experts est évidemment indispensable mais cela ne suffit pas toujours car les parties prenantes et les habitants ont également des connaissances spécifiques qu’il est utile de mobiliser. Cette perspective utilitariste de la concertation est développée par Christian Morel dans son livre Les décisions absurdes . Il montre que chacun est soumis à des biais dans sa façon de penser et que le fait de débattre des décisions permet de limiter le risque de faire de mauvais choix. Même si au terme de ce processus de débat, c’est bien aux élus d’établir l’arbitrage final.
4. Cette position de principe peut cacher d’autres craintes. Identifier ces craintes par l’écoute active est souvent possible. Par exemple, certains élus craignent que le fait de réunir les acteurs aux positions divergentes ne suscite des conflits, d’autres que cela ne ralentisse un projet. Dans ce cas, c’est à ces craintes qu’il faut répondre.