
Jeu de rôles dans une démarche de concertation
Le dialogue autour de l'Etang de Vendres, sur la côte méditerranéenne
L’étang de Vendres, situé aux confins des départements de l’Hérault et de l’Aude, en région Languedoc-Roussillon, totalise environ 1600 ha de milieux inondés de manière temporaire ou permanente, dont près de 900 ha de roselière, espace fragile qui en constitue la principale richesse écologique. Le niveau d’eau peut être régulé grâce à une vanne qui appartient au Syndicat mixte de la Basse Vallée de l’Aude (SMBVA).
Le contexte
L’étang et ses abords font l’objet de plusieurs activités : pâturage, chasse, pêche, préservation et découverte du milieu naturel. Les conflits d’usage, portant sur la gestion des terres et sur le fonctionnement hydraulique de l’étang sont à l’origine d’un besoin de concertation identifié par le syndicat mixte, qui est parvenu, après plusieurs années de discussion entre les acteurs locaux, à obtenir un accord sur la gestion des niveaux d’eau. Cependant, des incompréhensions subsistent sur les interactions entre les divers usagers et leur impact sur la dynamique de la roselière.
C’est pour améliorer cette prise de conscience que le syndicat mixte a décidé de mobiliser un jeu de rôles, ce qui a été réalisé en 2006 Grâce à l’intervention de Raphaël Mathevet, chercheur au CNRS-CEFE de Montpellier..
Des acteurs locaux (manadiers, chasseurs, écologistes, techniciens de collectivités) ont utilisé Butor Star, un jeu de rôle simulant la gestion d’une zone humide méditerranéenne, mis en œuvre par Raphaël Mathevet sur la base d’un système multi-agents, c’est-à-dire d’un modèle informatique reproduisant les relations entre les différents éléments d’une roselière. En fonction d’interventions que l’on peut programmer sur l’eau ou la végétation, le modèle définit les réactions prévisibles de l’écosystème.
Le jeu de rôles
Butor Star met donc en scène plusieurs joueurs qui simulent des actions sur une roselière. Ici, chaque joueur joue son propre rôle. Il est invité, sur une carte simplifiée figurant le bord d’un étang, à planifier des interventions sur le milieu en fonction d’objectifs qu’il définit lui-même. Le terrain d’exercice de certains joueurs est évidemment commun (par exemple, le chasseur et l’éleveur peuvent utiliser les mêmes parcelles). Tous les joueurs doivent ensuite se mettre d’accord sur une gestion hydraulique du site en définissant le niveau d’eau pour chaque saison. Ces opérations sont répétées successivement plusieurs fois, figurant autant d’années. A chaque tour de jeu, le logiciel calcule les effets prévisibles de ces actions sur la roselière, sur la population d’oiseaux qu’elle abrite et sur l’évolution de la situation économique de chaque joueur. En fonction de cela, les joueurs ajustent leurs actions. Ils peuvent décider de se concerter, d’échanger des informations, ou au contraire de jouer sans se soucier de l’action des autres joueurs.
A la fin de la session de jeu (2 à 3 heures), un bilan est réalisé collectivement. Ce moment est particulièrement important. Il est organisé en deux temps : un premier moment d’échange sur les impressions des joueurs et les enseignements tirés par eux ; un second moment d’explicitation des actions de chacun, des actions mises en œuvre et de leur logique. Des correspondances sont faites avec la réalité : le modèle reflète-t-il bien la réalité des dynamiques à l’œuvre ? Comment se coordonnent les acteurs locaux dans la mise en œuvre de leurs choix de gestion ? Les logiques de chacun sont-elles bien comprises par les autres ? Comment pourrait-on améliorer la transmission d’information et la concertation ? Etc.
Les enseignements
A Vendres, les séances de jeu se sont déroulées de façon satisfaisante. Elles interviennent à un stade relativement avancé de la concertation locale où certains conflits ont été dépassés et où la discussion est possible. En effet, pour utiliser un jeu de rôle, les participants doivent être dans un esprit de coopération et de relative confiance, entre eux et envers l’organisme qui invite, de façon à jouer de façon la plus sincère possible et à expliciter leur comportement lors du débriefing.
Les décalages entre le jeu et la réalité n’ont pas fait l’objet de fortes critiques par les participants. Il semble leur être apparu clairement que la situation était fictive et relativement décalée de leur quotidien. Cependant, des parallèles ont été systématiquement faits par eux avec le fonctionnement de la roselière telle qu’ils la connaissaient : l’enjeu en termes d’apprentissage semble donc avoir été clairement intégré.
Ces écarts empêchent de donner au jeu toute valeur prospective ou normative : il ne s’agissait pas de tester des scénarios de gestion de l’étang, de rechercher un mode de gestion optimal ou de prévoir l’état de la roselière dans quelques années. L’objectif était d’ordre pédagogique et c’est ainsi qu’il semble avoir été compris par les participants.
Les participants disent avoir apprécié la possibilité qui leur était offerte de s’observer eux-mêmes en situation de concertation et de prendre du recul sur cet aspect de leur pratique. Il est vrai que dans la réalité, ils ont rarement l’occasion de mener collectivement une analyse sur leur façon de coopérer ou de s’affronter. Le jeu leur en a fourni l’occasion à partir d’une situation fictive, donc sans enjeu. La mobilisation de ce type d’outil dans cette situation de concertation est donc apparu comme un outil pédagogique intéressant.