
Une conférence de citoyens en Bretagne
Arbitrer un conflit sur la gestion des ordures ménagères
En 2003, l’agglomération de Saint Brieuc doit réorganiser sa filière de traitement des ordures ménagères qui est saturée. Le SMICTOM (Syndicat mixte intercommunal pour le traitement des ordures ménagères) réalise des études et opte pour le choix d’un incinérateur. Mais des oppositions se manifestent parmi la population locale, des associations se mobilisent afin de constituer un front contre l’incinération.
Une concertation serait nécessaire mais le climat est tendu. Certains élus refusent de reconnaître toute légitimité pour les associations de parler au nom des citoyens. A l’inverse, celles-ci critiquent le choix des élus et en appellent au référendum. Les élus répondent alors qu’un référendum pour ou contre l’incinération ne résoudra en rien leur problème, qui est de trouver des solutions pour gérer les déchets.
La solution retenue : un débat citoyen
Finalement, le SMICTOM fait appel à des consultants : la société coopérative Médiation et Environnement (M&E). Celle-ci propose un certain nombre d’outils et de réflexion, ce qui conduit le Comité de Pilotage à décider d’organiser une conférence de citoyens, c’est-à-dire de tirer au sort un panel d’habitants et de leur soumettre la question qui se pose aux élus : comment gérer les déchets ménagers ? Pour cela, ces habitants seront soumis à différents avis, pourront consulter des experts et des militants, dialogueront avec le SMICTOM et avec les opposants au projet. Ils seront invités à faire des propositions. Le SMICTOM ne s’engage pas à les mettre en œuvre, mais il s’engage à les examiner et à y répondre publiquement.
La démarche retenue s’inspire aussi de la procédure du débat public : des réunions publiques sont organisées avec la population ; toutes les parties prenantes ont la possibilité de produire un « cahier d’acteur », un argumentaire en quelques pages qui est diffusé aux citoyens et à la population ; enfin, un bulletin est distribué dans toutes les boîtes aux lettres pour informer la population de l’avancée du débat et la presse locale s’en fait l’écho.
Pour que cette solution, qui constitue en quelque sorte un moyen d’arbitrer un différend par le recours consultatif à un panel de citoyens, il faut que les parties en présence s’engagent à jouer le jeu du débat et à prendre en considération les propositions du panel.
La méthode
Les instances
1. Le SMICTOM créé un comité de pilotage qui supervisera l’ensemble de la démarche. Les associations environnementales sont invitées à en faire partie, ainsi que les élus locaux, des représentants de l’administration et des chambres consulaires. Ce comité élabore et suit la démarche.
2. Le comité de pilotage tire au sort un panel de 12 citoyens sur les listes électorales en respectant une représentativité d’âge, de sexe et de lieu de résidence, Médiation en Environnement contacte les personnes et leur demande de participer à titre bénévole. Ce groupe a pour mission de répondre à la question : « Comment le territoire doit-il gérer le traitement de ses déchets ménagers ? » et faire des recommandations au SMICTOM. Au début du processus, l’identité des membres du panel reste confidentielle : seuls les consultants la connaissent.
3. Un conseil de scrutateurs composé de 5 « sages », non résidents sur place et sans compétence dans le domaine, est chargé de veiller sur l’impartialité des débats. Ils sont proposés par M&E et acceptés par le Comité de Pilotage.
4. Un animateur est choisi. Il a pour mission d’accompagner le groupe de citoyens et de l’aider à s’informer, à délibérer et à émettre des propositions.
5. Médiation en environnement accompagne l’ensemble de la démarche.
Le processus
1. Une liste de 20 experts de la question des déchets est élaborée : scientifiques, professionnels, élus d’autres régions, associations environnementales.
2. Le panel de citoyens choisit parmi ces experts 8 personnes qu’ils vont auditionner pendant un demi-journée chacune.
3. Les habitants et les parties prenantes sont invités à contribuer au débat en écrivant des « cahiers d’acteurs » (4 pages) dans lesquels ils doivent présenter leur position de manière argumentée. Après l’aval des scrutateurs, qui veillent à ce que les textes ne soient pas injurieux ou publicitaires, ces cahiers sont transmis au panel et servent de base à la discussion.
4. Le panel reçoit une brève formation sur la conduite de réunions publiques et organise 4 réunions dans différentes communes pour recueillir les avis de la population.
5. Durant tout le processus, un « journal du débat » (4 pages) est distribué dans toutes les boîtes aux lettres. Trois numéros sont prévus.
6. A l’issue du processus, qui s’étale sur 8 mois, le panel rend un avis au SMICTOM sous forme d’un rapport que ce dernier s’engage à diffuser intégralement. Il reçoit les recommandations du panel lors de la dernière réunion publique au cours de laquelle il doit dire, devant les citoyens et les institutions départementales, quels engagements il entend prendre pour tenir compte des avis qui lui auront été remis.
7. Le SMICTOM met en œuvre les décisions qui s’imposent pour le traitement des ordures ménagères de la région.
Résultats
A l’issue de l’expérience, les citoyens du panel rendent une vingtaine de propositions dont la principale recommande l’abandon du projet d’incinération au profit de l’enfouissement. C’était la proposition des opposants à l’incinération.
Elle sera adoptée, ainsi que d’autres suggestions : réduction des déchets à la source, tri poussé, réorganisation des structures en place, modernisation des pratiques de compostage Finalement, 90 % des recommandations des citoyens ont été mises en œuvre. Seul le représentant de l’Etat est resté inflexible dans son choix envers l’incinération, mais cela n’a pas suffit à empêcher le SMICTOM de se ranger à l’avis des citoyens et de modifier très sensiblement sa stratégie.