
Pour un entretien collectif des haies des bords de route
Une concertation pour les haies
Caractéristique incontournable du paysage ornais, la haie s’impose dans les paysages. Élément végétal aux multiples fonctions, elle constitue un élément clé du département de l’Orne, en étant à la fois ressource naturelle locale et élément symbolique du paysage. Sur le plan agronomique, la haie ralentit le vent et limite l’érosion des sols et le ruissellement. D’un point de vue environnemental, elle constitue des corridors pour la biodiversité, elle protège les cours d’eau et confère au paysage une esthétique incomparable. Enfin, dans le cadre de la filière bois énergie, la haie représente un nouvel espace de production et devient ainsi une actrice de l’économie rurale.
Aux origines de la démarche
En 2006, un groupe d’habitants se réunit pour protester contre l’implantation d’un centre d’enfouissement de déchets nucléaires. Cette action lance l’idée de proposer la production d’énergie nouvelle. Cette idée se précise quand les habitants des communes voisines sont confrontés à un projet de remembrement remettant en cause le maintien du bocage. L’envie d’exploiter le bois de bocage émerge alors. Celui-ci apparaît comme une énergie nouvelle permettant de maintenir ce patrimoine écologique et de proposer une alternative viable aux projets de remembrement.
Le groupe initial est composé d’une dizaine de personnes d’origines diverses : des élus de deux collectivités locales, de la Fédération départementale des CUMA de l’Orne, d’une association d’insertion locale et un animateur de la chambre d’agriculture. Ceux-ci font le constat que les agriculteurs possèdent la matière première, et que les particuliers et collectivités sont demandeurs d’approvisionnement en petite quantité pour des chaudières de moyenne puissance. Ils décident donc de créer une structure afin d’organiser cette filière de production, stockage, vente et distribution de bois déchiqueté et plaquettes. Avec le triple objectif de revaloriser économiquement le bocage, entretenir le paysage et produire localement une énergie renouvelable.
L’autre élément important lors du lancement de ce projet, réside dans les techniques de coupe et d’entretien des haies. En effet, la technique du recépage, à savoir une coupe rase à maturité (tous les 12-15 ans) permet de régénérer les haies et de valoriser le bois obtenu par déchiquetage. Elle était bien connue des anciens et prévue à cet effet dans les baux ruraux. Cette technique s’est peu à peu perdue au profit des tailles latérales. Cette taille, effectuée par les agriculteurs mais aussi par les collectivités locales ou les services de l’État, a pour conséquence négative d’affaiblir la haie qui, peu à peu, se dégrade. L’enjeu de la démarche se situe donc aussi dans l’évolution des pratiques de gestion des haies en diminuant les tailles latérales au profit du recépage. Cela permettra de lutter contre la dégradation du bocage tout en valorisant mieux le bois déchiqueté pour le chauffage, puisque les plaquettes ainsi constituées sont de meilleure qualité. Ces évolutions de pratiques ont conduit à un travail technique auprès des agriculteurs et techniciens du réseau des CUMA, mais également à une sensibilisation des habitants, passant par des explications sur ce nouveau mode de gestion via
des articles dans la presse locale.
Un mode de gestion coopératif
Lors de la structuration du collectif bois énergie, le choix se porte rapidement sur le statut SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) du fait notamment de l’implication forte des collectivités dans la démarche dès les origines du projet. La SCIC Bois Bocage Energie (B2E) regroupe ainsi 5 collèges : les salariés, les collectivités, les clients, les producteurs et les partenaires. En termes de fonctionnement, la SCIC achète les plaquettes bocagères auprès de ses producteurs et les revend à ses clients. Elle gère également les plates-formes de stockage-séchage du bois déchiqueté et réalise la valorisation des haies afin d’assurer leur maintien, leur entretien, et leur développement (replantations). Enfin, elle assure la promotion de l’utilisation du bois déchiqueté issu des haies en tant qu’énergie renouvelable.
Des antennes locales pour garantir le dialogue
L’arrivée de nouveaux collectifs intéressés par les dimensions techniques et de gouvernance de la SCIC Bois Bocage Énergie, apporte un questionnement supplémentaire. Faut-il créer de nouvelles structures, et multiplier les SCIC sur le territoire, ou inventer un mode de fonctionnement qui allie proximité et coordination globale ? C’est cette deuxième voie qui est prise avec la mise en place d’une organisation qui permette la gestion locale de l’activité, l’implication des acteurs de terrain ainsi qu’une cohérence sur le territoire. Des antennes locales sont créées, afin de conserver une gestion au plus proche des producteurs et clients. Ces antennes organisent les relations au niveau local entre les producteurs, les collectivités, les particuliers et la SCIC. Si elles n’ont pas de pouvoir de décision, elles n’en restent pas moins force de propositions. Propositions qui sont ensuite transmises lors de l’assemblée générale de la SCIC. Les membres des antennes locales sont impliqués directement dans l’action de terrain : ils peuvent chercher des moyens de stockage, définir des besoins ou encore répartir la production. Les antennes locales sont aussi le lieu où les prix sont débattus directement entre producteurs et clients, puisque les prix déterminés au démarrage sont revus tous les ans.
En plus d’être un lieu privilégié d’échange et de débat, elles permettent de maintenir un lien plus direct avec la société civile, au-delà des deux composantes fortes que sont les agriculteurs et collectivités. « Cette pluralité de points de vue, recherchée dans ces antennes locales, sont une composante de la pérennité de l’action sur le terrain et de l’efficacité des projets » estime le coordinateur de la SCIC B2E. En outre, les équipes d’élus étant amenées à se renouveler régulièrement, cette présence d’agriculteurs et d’habitants permet de faire plus facilement le lien avec les nouvelles équipes et facilitent l’appropriation du projet.
Quels sont les effets de la concertation sur la protection des haies ?
Si, à l’origine, deux positions fortes s’exprimaient vis à vis du bocage, entre volonté de protection et souhait de valorisation économique de cette ressource, force est de constater que les démarches de dialogue engagées ont permis de faire converger ces intérêts. Les échanges ainsi générés ont fait avancer cette question du bocage dans l’esprit des uns et des autres, et permettent aujourd’hui de conjuguer ces différentes visions. Mais ce dialogue entre agriculteurs, élus et ruraux, et le portage singulier du projet au sein d’une structure coopérative, recèle d’autres plus-values par rapport à l’environnement. En effet, la filière bois est aujourd’hui soumise à une forte concurrence, du fait du développement de chaufferies de forte puissance, pilotées par des opérateurs moins scrupuleux sur la traçabilité, la quantité et la gestion durable de bois consommé, ce qui à terme, peut nuire au renouvellement de la ressource. Le coordinateur de la SCIC souligne ainsi que leur « modèle d’organisation coopératif, intégrant les différentes parties prenantes, génère un droit de regard sur les chantiers conduits et donc une vigilance par rapport aux approvisionnements et à la traçabilité du bois consommé ». Cela empêche une surconsommation de la ressource et conduit donc à un mode de gestion des haies plus durable. Mode de gestion vertueux que la SCIC souhaite valoriser au travers d’un label « haie gérée durablement » en cours de création.
Après 10 ans d’activité, quelques indicateurs peuvent attester de la réussite de ce projet mobilisateur sur le territoire : 205 associés (28 clients, 131 agriculteurs, 27 collectivités, 17 partenaires, 2 salariés), 54 chaudières alimentées (écoles, entreprises, collectivités, particuliers) et des clients qui se situent dans un périmètre de 20 km autour des plateformes. Mais au delà de ces chiffres, cette initiative met surtout en avant que l’articulation entre mode de gouvernance coopératif et permanence du dialogue entre parties prenantes permet de faire converger les intérêts, pérenniser les initiatives et gérer durablement cette ressource.