
Mobiliser pour le retour des moutons
Dynamiques collectives pour le pastoralisme en garrigue
La garrigue a été façonnée par des millénaires d’activités humaines, en particulier par l’élevage ovin. Les différentes catégories de milieux – les pelouses, les landes, les taillis et les bois – sont riches du point de vue de la biodiversité. Mais le recul de l’agriculture et l’effondrement du pastoralisme, remettent en question cet équilibre fragile. Au cours du dernier siècle, le nombre d’animaux a été divisé par dix. Sans les moutons qui broutent sans relâchent, les ronces et les arbustes se développent, puis les arbres – notamment les pins d’Alep – occupent l’espace à leur tour. La garrigue devient vite impénétrable, les orchidées disparaissent, une myriade d’insectes ne trouvent plus de quoi s’y nourrir. L’embroussaillement et l’extension des pinèdes la rendent plus sensible aux incendies, qui menacent les zones habitées.
Les garrigues, à la fois abandonnées et convoitées
L’étendue située entre Montpellier, Nîmes et Alès couvre plus de 300 000 hectares. Les garrigues y occupent encore une bonne place, mais le territoire est également marqué par une forte croissance démographique et par l’étalement urbain. Les quelques éleveurs qui maintiennent leurs activités ont une situation économique fragile et des problèmes d’accès à la terre.
Avec l’arrivée de nouveaux habitants et le recul de l’élevage, des acticités apparaissent : élevage caprin, chevaux de loisirs, randonnée, découverte. Mais des conflits d’usages s’invitent également : problèmes des chiens des randonneurs ou des chasseurs qui effraient les troupeaux, clôtures qui entravent la circulation des promeneurs, proximité des bergeries qui amènent des mouches dans les habitations… La coexistence est parfois difficile entre les éleveurs, les chasseurs et les habitants.
Pourtant, le maintien de l’élevage en garrigue est reconnu comme nécessaire. Le berger, qui mène le troupeau là où il n’irait pas toujours spontanément, cherche à optimiser les ressources disponibles mais joue aussi un rôle important dans la maîtrise de la végétation. Les élus locaux, très soucieux de prévenir les risques d’incendie, portent un grand intérêt à cette activité de débroussaillage menée par les troupeaux. Les habitants, quant à eux, tiennent très majoritairement au maintien du pastoralisme et des espaces ouverts pour diverses raisons. Ils en ont une image positive et ils aspirent à un approvisionnement alimentaire de proximité, des aliments de qualité, une agriculture plus proche, la mise en place de projets coopératifs qui créent du lien et de l’interconnaissance entre les habitants de souche et les nouveaux arrivants.
Ce contexte en mutation peut devenir une opportunité pour l’élevage qui doit chercher de nouveaux appuis et de nouveaux partenaires. Car sans un « écosystème » économique et social qui leur soit favorable, il est difficile de maintenir dans la durée des activités pastorales dont la rentabilité est très incertaine. C’est à la création de cet écosystème que s’est attelé le Collectif des garrigues.
De l’état des lieux aux propositions, une démarche collective
Le Collectif des garrigues a été créé par un groupe de personnes motivées par la préservation des garrigues et soucieuses de partager leurs connaissances. Elles se sont constituées en association en 2013. Elles ont engagé plusieurs chantiers, dont le projet « pasto-garrigues » dont l’objectif est d’appuyer le développement d’activités pastorales en garrigue en mobilisant les habitants et en travaillant de façon concertée avec les acteurs locaux : organismes agricoles et éleveurs, communes, services départementaux de lutte contre les incendies, associations environnementales, centres équestres, randonneurs, chasseurs ou vététistes, habitants et consommateurs… Ses questions sont les suivantes : comment créer des espaces de haute valeur environnementale et paysagère dans un contexte de forte métropolisation ? Comment le faire en associant largement la population locale afin de garantir l’acceptabilité et la durabilité des projets ?
Un petit groupe de six personnes (habitant, éleveur, animateur territorial, technicien agricole et chercheur) pilote le projet. La première étape a consisté à construire un état des lieux partagé sur le pastoralisme en garrigue en croisant les regards de différents acteurs du territoire. Il a permis d’identifier les problèmes et les arguments en faveur d’un retour du pastoralisme. Ce diagnostic a mobilisé une vingtaine de personnes et a été conduit principalement grâce à des entretiens individuels. Des études ont également été menées en partenariat avec l’Université de Montpellier.
La seconde étape a mobilisé un plus grand nombre de personnes : institutions, collectivités, associations, éleveurs, citoyens… Un débat public a mobilisé plus de cent personnes et des réunions thématiques une cinquantaine de participants. Une trentaine d’institutions sont invitées à contribuer au projet. Cette phase a permis d’identifier les besoins et les leviers possibles à actionner. Elle a débouché sur un cahier des charges pour un développement du pastoralisme en garrigue.
Enfin, la troisième étape consiste à élaborer un plan d’actions concret et une répartition des tâches. Elle doit s’achever par la création d’un Comité de pilotage qui sera chargé de suivre la mise en œuvre.
Le paysage, la filière, la technique…
Si tout le monde s’accorde sur l’intérêt du pastoralisme en garrigue, les choses se compliquent dès qu’il s’agit de passer à l’action. Les éleveurs sont favorables à une action sur le paysage et l’environnement, mais ils doivent également vivre de leur métier. Les consommateurs sont intéressés par les produits locaux, mais pas toujours prêts à en payer le prix. Les habitants regardent les troupeaux d’un bon œil, mais pas les désagréments comme les mouches qui les accompagnent. Les spécialistes de la lutte contre l’incendie louent les services des moutons, mais pas n’importe où ni n’importe comment. Les maires sont prêts à appuyer l’émergence de nouvelles activités, mais pas au point d’y consacrer toutes leurs ressources.
Si tout le monde s’accorde sur la nécessité de ne pas tomber dans la nostalgie d’un pastoralisme idéalisé, il faut désormais en construire une image moderne. A l’instar des « nouveaux bergers », souvent des femmes, diplômées, sans attache avec la région et souvent non issues de familles d’éleveurs. Comme Nathalie, biologiste et sociologue, qui s’est installée en 2015 dans l’Hérault. Intéressée par la vente directe, pragmatique et à la recherche d’une certaine qualité de vie, elle voit dans son activité un moyen d’échanger avec les consommateurs sur la production et la consommation responsable. Ou comme Pascal, éleveur dans le Gard et ancien chercheur, installé en 2014 grâce à un appel à souscription. Il souhaite valoriser la laine de son troupeau, en lien avec d’autres éleveurs.
Pour intégrer ce nouveau pastoralisme dans l’environnement local, il faut travailler sur les dimensions économiques et techniques, sur la pénibilité du travail du berger et le cadre de vie des habitants, sur la possibilité de mobiliser des ressources publiques en faveur d’activités privées. C’est nécessairement une entreprise collective qui suppose la mise en mouvement de nombreuses organisations et institutions, mais aussi l’adhésion des habitants, condition indispensable à terme pour la mobilisation durable des collectivités territoriales.