
Particules élémentaires
Renforcer le pouvoir d'agir citoyen pour mieux vivre ensemble : un projet expérimental à Toulouse
La résidence Marvig, au sud de Toulouse, dans le quartier calme et arboré de Saouzelong, a été construite en 1995 et est constituée de 137 logements répartis sur trois bâtiments, représentant 360 habitants dont l’origine sociale est plutôt équilibrée. C’est un quartier modeste mais « comme les autres » qui souffre d’un délitement du lien social, d’une absence de relations entre les occupants, d’une petite délinquance qui focalise les récriminations. Cette situation, somme toute banale dans beaucoup de quartiers, a conduit le bailleur social (le groupe des Chalets) à chercher les moyens de favoriser la rencontre et les échanges entre les locataires, créer du lien social et du mieux vivre ensemble, favoriser une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux. Il a lancé en 2017 un appel à projets auprès des acteurs de l’Economie Sociale et Solidaire, auquel a répondu Solidarité Villes, association toulousaine spécialisée dans les démarches participatives.
Les objectifs
Le projet se fonde sur le postulat que les habitants d’un territoire sont acteurs de leur cadre de vie et que ce sont eux qui provoquent la transition écologique de ce territoire, en identifiant concrètement comment ils peuvent agir au quotidien pour la prise en compte de l’environnement, ce qu’ils peuvent faire dans leur résidence.
Les objectifs du projet sont les suivants.
- Donner envie d’agir et de faire aux habitants locataires : sensibiliser aux pratiques du « Faire Soi Même », de manière utile au quotidien.
- Sensibiliser les locataires aux logiques du développement durable.
- Créer du lien social et intergénérationnel.
- Favoriser l’émergence d’un comité de locataires pérenne d’au moins une dizaine de locataires impliqués qui s’investit sur la durée dans l’amélioration du cadre de vie de sa résidence.
- Que ce comité de locataires puisse être un interlocuteur privilégié du bailleur.
Le public concerné par le projet est constitué par les habitants de la résidence (360 personnes)
La démarche
La démarche a été mise en place à la suite du constat d’une absence de vie sociale dans le quartier. Elle s’est formalisée grâce à l’appel à projet lancé par le bailleur.
La Phase1
Elle s’est déroulée entre janvier et mai 2018. Au cours de cette phase des ateliers « découverte de savoir-faire » ont été mis en place pour les locataires avec des partenaires associatifs. Les thématiques abordées sont :
- Construire avec l’Atelier Tout Terrain : ateliers en micro-architecture et sensibilisation à l’espace.
- Jardiner avec Les Jardinières Partagées : implantation de jardinières créatives dans l’espace public à disposition des habitants pour y faire pousser des végétaux comestibles et s’initier à la permaculture au travers d’ateliers.
- Coudre avec Doudous by Mamies : Ateliers de confections de petits doudous réalisés en famille avec l’aide de couturières.
- Cuisiner avec Les Repêchés Mignons : Confitures élaborées à partir de fruits et légumes déclassés de la grande distribution, des actions contre le gaspillage alimentaire.
- Brasser avec La Brasserie du Bec : Ateliers de brassage amateur pour créer du lien, fédérer les énergies, les échanges et les rencontres par l’interaction autour de la brassiculture.
- Concocter des produits d’entretien avec My Visa City : ateliers d’entretien naturel de la maison et produits cosmétiques naturels ; sensibilisation aux problématiques environnementales et sanitaires liées à l’usage de consommation courante : hygiène, détergents et cosmétiques.
L’objectif de ces ateliers est de sensibiliser les locataires aux pratiques du faire soi-même et aux logiques du développement durable. Ils permettent surtout aux habitants de participer à des moments de convivialité dans leur résidence, de faire connaissance, de partager des réflexions et de commencer à voir émerger des problématiques de leurs résidences, des idées d’actions possibles pour améliorer leur cadre de vie.
Cette phase s’est clôturée par un événement festif le 23 juin 2018.
La Phase 2 (co-conception des actions)
Initialement prévue entre juin 2018 et octobre 2018, a été écourtée car les premières idées ont rapidement émergé durant la première phase. Quelques ateliers de concertation ont été organisés pour définir les actions à mener dans la résidence. Elle s’est terminée dès la rentrée de septembre 2018 avec le lancement des premières expérimentations de certains projets (notamment les premières ébauches de jardins partagés).
La Phase 3
Elle s’est rapidement enchaînée depuis septembre 2018, et n’est pas encore terminée à ce jour (2019).
Dans le but de maintenir le dynamisme qui s’est déclenché en fin de phase 1, il a été décidé de passer rapidement à l’action avec des expérimentations visibles sur la résidence. En effet, la mobilisation était insuffisante au cours des premiers ateliers de concertation, et les besoins et enjeux ont rapidement été identifiés. Solidarité Villes a décidé de centrer le projet sur l’expérimentation et le « faire ensemble » plutôt que sur la formalisation précise des besoins.
En 2019, l’association travaille sur la mise en autonomie du projet : création de l’association des locataires et accompagnement pour l’utilisation d’une salle commune.
Les réalisations collectives
Deux jardins partagés aux pieds des résidences 7 et 10 ont été créés. Un groupe de cinq jardiniers référents accompagnés de trois enfants a été constitué. D’autres habitants se sont joints temporairement au projet en aidant aux plantations. Les jardins ont été conçus en deux phases, une première phase d’expérimentation avec la première production de légumes, et une phase d’amélioration/agrandissement. L’association les Jardinières Partagées a accompagné les habitants dans la conception des jardins avec l’organisation d’ateliers de sensibilisation à la permaculture. Le dernier atelier a permis de faire le point sur la technique et les habitants sont repartis avec l’ensemble de la documentation nécessaire pour être autonome quant aux plantations et organisation des jardins (calendrier des plantations, connaissance des plantes…). Des plants de légumes, arbustes fruitiers, fleurs ont été achetés pour démarrer les jardins. Certains habitants réalisent des semis chez eux pour les prochaines plantations.
Deux bacs à compost ont été installés à l’arrière de la résidence. Douze habitants à ce jour utilisent actuellement les bacs, mais d’autres viennent également déposer leurs déchets. Deux habitants référents on fait une formation auprès de la Métropole pour être sensibilisés sur la nature des déchets. Un des bacs est déjà plein et les résidents souhaitent en installer un troisième. Dans le cadre de l’autonomisation des locataires de Marvig, les habitants référents pourront organiser une formation afin d’éviter les écarts d’utilisation.
Une boîte à livre est en cours de construction. De manière expérimentale, des cagettes ont été placées au dessus des boîtes aux lettres de trois résidences pour vérifier le renouvellement des livres. Une des cagettes a particulièrement bien fonctionné et une habitante s’est positionnée en tant que référente du projet pour s’assurer du remplissage et de la qualité des livres. Une boîte à livres pérenne est en cours de construction. Des livres pour enfants sont également en circulation.
La mobilisation
L’association a privilégié le porte à porte pour « aller vers » l’ensemble des résidents. Ce porte à porte a été effectué deux fois, la première en début de projet pour inviter les habitants à une réunion d’information générale, la deuxième pour les inviter à participer aux rencontres culinaires.
Pour chaque événement (réunion, atelier…), les locataires étaient informés au préalable par flyer dans les boîtes aux lettres, affiches aux portes d’entrée et dans les garages, information orale par le gérant et parfois courrier, mail et sms. Le gérant de la résidence communiquait également ces informations au gré de ses rencontres.
Deux moments forts en matière de mobilisation des habitants ont eu lieu dans le cadre du projet : la journée festive du 23 juin 2018 et les rencontres culinaires du 26 janvier 2019.
La principale innovation du projet a été de concevoir des ateliers comme la base d’une reconstruction du lien social. Les ateliers ont mobilisé en moyenne douze personnes, avec des âges très variés (de la tranche des moins de 15 ans à la tranche des 65-69 ans). Les réunions et événements organisés sur la résidence ont également mobilisé des jeunes jusqu’aux personnes âgées.
Malgré des invitations régulières auprès des nouveaux locataires (sms, affichage), leur participation est restée insuffisante. Ce sont surtout les résidents ayant entre 5 ans et 15 ans d’ancienneté, 20 ans pour la plus ancienne, qui se sont mobilisés, en grande majorité des femmes.
Les habitants motivés apprécient les interventions sur la résidence, qui leur semble plus vivante. Ils ont conscience que le projet permet de développer du lien social, mais sont un peu déçus par le peu de mobilisation. Ils ont également développé des liens plus importants avec le gérant de la résidence, relai entre eux et le bailleur. Ils sont « entendus » à travers ce projet, ils peuvent exprimer leurs difficultés et leurs besoins au sein de la résidence. Des rencontres ont été organisées entre les habitants et le bailleur.
La difficulté principale a été de maintenir la dynamique de participation. La mobilisation a pu durer grâce à la qualité du lien qui s’est établi entre la chef de projet de Solidarité Villes et les résidents, ainsi que grâce au soutien du bailleur. La bonne surprise a été la présence assez régulière d’enfants et d’adolescents dans les ateliers.
Les enseignements
Les bailleurs sociaux ont depuis longtemps fait le constat que la gestion d’une résidence ne saurait se limiter à « loger » la population, à encaisser les loyers, à se contenter d’une approche administrative dans la gestion locative. Le groupe des Chalets met en oeuvre depuis longtemps une approche humaniste de l’habitat avec une vision globale de la cohésion sociale, de la vie du quartier. Il a l’ambition d’offrir non seulement un logement mais aussi un cadre de vie, des services de proximité, des conditions d’implication des locataires dans la vie de sa résidence.
A l’occasion de ce projet, il a pu constater tout l’intérêt d’une approche extérieure d’intervenants qui créent une relation personnalisée avec les locataires, assurent un rôle de lien avec les techniciens du groupe et peuvent progressivement susciter des initiatives citoyennes. Cet apport est déterminant pour dynamiser la vie sociale mais la question reste posée de la pérennisation de cette dynamique lorsque cette action s’arrêtera. A ce sujet, la mise à disposition du local, la place que devra jouer le gérant, la capacité des résidents à s’auto-organiser seront déterminants.
Il est clair par exemple que le gérant de la résidence très présent sur le terrain, est confronté à la nécessité de devoir régler mille petits problèmes quotidiens de la résidence mais aussi participer à l’établissement d’un climat favorisant l’échange, la coopération, la responsabilité collective. Une tâche délicate pour laquelle ces agents ne sont pas toujours formés. Plus généralement, les organismes de logement social s’interrogent sur les modalités de gouvernance : faut-il par exemple soutenir la création de comités de locataires, des rencontres régulières avec les techniciens concernés de la ville, du bailleur, des administrations et les habitants ? Faut-il même organiser des animations, des repas de quartier afin de créer des occasions d’échanges ? Peut-on le faire depuis l’institution ou faut il passer par des médiateurs « neutres » qui pourront organiser le dialogue ?
Ce projet a permis de mettre en place des ateliers en mobilisant des structures relevant de l’économie sociale et solidaire. Pour Solidarité Villes et pour Les Chalets, la concertation ne saurait se limiter à l’organisation de réunions dont l’intérêt n’est pas évident pour des habitants qui sont pour partie confrontés à des conditions de vie difficiles au quotidien, à des contraintes familiales ou professionnelles.
Cela réclame de la part des animateurs / médiateurs un investissement en temps qui est relativement lourd. Le budget d’environ 50 000 € a pu être obtenu grâce à la participation de trois fondations (en plus du financement du bailleur) : le FIS, la Fondation de France, la Fondation SNCF. Ceci nécessite de longues négociations en amont, une gestion complexe… et au total un investissement bénévole important. Il n’est pas certain que cette configuration puisse être reproduite facilement. La participation a un coût qui malheureusement est rarement pris en compte par les maîtres d’ouvrage. Le décalage entre les discours souvent emphatiques sur la démocratie participative et la réalité des moyens qui sont mobilisés pour la mettre en œuvre fait partie des paradoxes de notre époque…
Fiche mise à jour en 2019 à partir d’informations fournies par Gérard Gasselin, Solidarité Villes et par le groupe Les Chalets.