
Observatoire citoyen des goélands urbains de Lorient
Une expérience de science participative
Lorsqu’on arrive à Lorient, les cris des goélands et leurs allers retours incessant dans le ciel, nous font rapidement réaliser que oui, le bord de mer est bien là. Mais si pour les vacanciers ces oiseaux marins sont indéniablement le symbole du rivage et de tous les plaisirs qui y sont associés, pour certains habitants de la ville de Lorient, le ressenti n’est pas forcément le même. En effet, la cohabitation entre cet oiseau et les activités humaines n’est pas toujours aisée. Pour les habitants, des nuisances peuvent parfois se faire ressentir à l’exemple des déjections qui détériorent les carrosseries de voiture, des cris stridents notamment des petits lors de la période des naissances, ou des dégradation de toitures…
La situation de ces oiseaux marins nicheurs est toutefois paradoxale. En effet, on observe des modifications importantes de la répartition entre milieu naturel et milieu anthropisé, et un comportement des espèces qui varient selon cette distribution. Autant les effectifs du Goéland argenté subissent actuellement une diminution importante en milieu naturelle autant les populations des milieux urbains se portent plutôt bien. Les différences comportementales et le cadre générale de vie de ces populations ont tendances à accentuer ces disparités.
Rapidement des questions peuvent se poser sur la nécessité de protection des colonies en milieu urbain, ce qui interroge sur la cohabitation avec les activités humaines et la nécessité d’actions de médiation et d’information auprès des habitants, et plus largement sur la place de la nature en ville.
Consciente des difficultés vécues par les citoyens, et soucieuse de ces nouveaux enjeux de conservation, la ville de Lorient organise, depuis 2013, des campagnes de stérilisation ciblée, en focalisant les stérilisations des nids en partie résidentielle, afin d’orienter les populations d’oiseaux dans les secteurs tournés vers la mer, à savoir le port et les toits de l’ancienne base de sous-marin datant de la guerre. Avec l’objectif de concentrer la présence des goélands autour de ces espaces.
Pour aller plus loin, l’association naturaliste Bretagne Vivante, en partenariat étroit avec la ville de Lorient, se saisit de ce sujet. Conjointement, ils se donnent l’objectif de mobiliser des habitants de Lorient, via différentes modalités d’actions, afin qu’ils s’approprient les problématiques liées à la présence des goélands en ville, et valorisent leur présence comme une richesse locale.
Mieux comprendre… pour mieux protéger
Des actions de découverte pédagogique et d’observation des goélands sur les toits de l’ancien bunker sont organisées conjointement par Bretagne Vivante et la ville. Ces activités permettent de sensibiliser un grand nombre de citoyens. Si l’objectif initial des initiateurs du projet était de formaliser un groupe citoyen pérenne, qui aurait servi de vecteur de sensibilisation et mobilisation de la population, force est de constater que la mobilisation d’un groupe constitué sur le moyen et long terme reste difficile.
Toutefois, ces actions de sensibilisation font bouger les lignes. A l’image de cette dame qui était régulièrement dérangée par les cris des goélands nichant près de ses fenêtres. Après plusieurs participations à des sorties d’observation, elle commence à porter un autre regard sur cette espèce. Elle observe les goélands différemment, relevant par exemple leur façon de se nourrir, plutôt que de se focaliser sur leurs cris.
Il reste difficile de mesurer les effets réels de cette sensibilisation. Mais sur les 600 adultes et 500 enfants ayant assisté aux visites de l’observatoire des goélands et sorties du groupe citoyen, on peut croire que des messages seront intégrés pour un certain nombre d’entre eux, voire retransmis à leurs proches. Un travail de longue haleine qui se fonde sur le postulat qu’une meilleure protection passe par une meilleure compréhension des modes de vie des espèces.
Science participative
La mobilisation des citoyens ne se limite pas aux sorties d’observation. Les spécialistes de l’association Bretagne Vivante voient aussi dans l’implication des habitants une opportunité pour enrichir leurs observations de terrain. Ils souhaitent créer une proximité entre le travail scientifique et les apports des citoyens qui, de fait, sont plus présents sur le terrain, en l’occurrence, la ville. Et de bâtir un programme scientifique au sein duquel des outils permettant la récolte et le transfert d’information des habitants vers les scientifiques, sont développés. La proximité sur la zone urbaine de ces oiseaux permet à tout habitant d’approcher ces espèces et, par exemple, de photographier les oiseaux bagués pour ensuite transmettre ces clichés aux chercheurs, enrichissant ainsi les bases de données. L’association travaille en outre à un projet de site internet, sur la base de cartes, pour fluidifier ces retours d’observation (des habitants de Lorient mais également d’autres secteurs) vers les scientifiques, et à l’inverse, la transmission des analyses faites par les chercheurs, vers les ornithologues amateurs et le grand public. Au total dans ce programme de baguage qui inclus la ville de Lorient, ce sont plus de 4500 animaux qui ont déjà été bagués et près de 10 000 données extérieures récoltées.
Des effets positifs
Force est de constater que, progressivement, des changements de pratique apparaissent dans la prise en compte des goélands en ville. Le secteur de Lorient-La Base est en effet un quartier assez dynamique en terme de projet d’aménagement. L’un des toits détérioré doit, par exemple, être rénové, ce qui risque de déranger la reproduction des goélands qui nichent à cet endroit. Au-delà des contraintes réglementaires d’usage pour de tels travaux et relatives à la présence des espèces protégés, des échanges s’engagent entre services de Lorient Agglomération et l’association Bretagne Vivante, afin d’intégrer cette dimension goéland dans le plan de travail de cet aménagement. Cela témoigne donc d’une intégration plus importante des questions de protection et conservation de ces espèces.
Ce travail conjoint a permis de dépasser une approche centrée sur les problèmes causés par le goéland, pour aller vers une vision plus large de structuration d’un plan de gestion concerté qui intègre les enjeux de protection de ces oiseaux marins et de cohabitation avec les activités humaines.
D’autres communes, soumises à des problématiques similaires, font désormais appel à Bretagne Vivante pour témoigner de ce projet et appuyer à la mise en place d’actions. Des articles dans la presse régionale, qui alertent sur la problématique des goélands urbains, et relayent l’expérience de Lorient, favorisent cet essaimage.
L’originalité de cette démarche tient dans le fait qu’elle s’intéresse à la biodiversité urbaine et à la nature ordinaire, insuffisamment expliquées et valorisées. Il s’agit d’aborder de façon différente la question de la cohabitation homme /animal. Même si les habitants ne sont pas complètement partie prenante dans la gouvernance du programme de gestion des goélands, cette initiative représente une première marche vers l’intégration des citoyens dans cette politique de régulation des oiseaux marins en ville. Elle contribue à une évolution du regard des habitants sur ces espèces, et à une meilleure intégration des enjeux de protection dans la gestion des espaces urbains. Une tentative originale de réponse au dilemme posé par cette présence d’oiseaux « sauvages » en ville.