
Prévention des conflits d’usage dans les alpages de Haute-Savoie
Nouveaux enjeux pour la médiation
Les alpages sont de plus en plus convoités. Les éleveurs les occupent à la belle saison, les chasseurs les arpentent depuis longtemps, les promeneurs y sont de plus en plus fréquents, les adeptes de sports comme le VTT y apparaissent, ainsi que des acteurs économiques comme les exploitants des stations de sports d’hiver. Le relief, l’eau, l’herbe, la neige, la faune, les chalets d’altitude, le paysage, la tranquillité : toutes ces ressources de la montagne sont recherchées par divers usagers, qui entrent parfois en concurrence, voire en conflit. L’alpage est devenu multifonctionnel.
Dans le même temps, les enjeux environnementaux sont de mieux en mieux cernés. Réserve d’eau et de biodiversité, étendard des productions de qualité comme le fromage d’Abondance, le Reblochon, les espaces pastoraux de Haute-Savoie sont reconnus comme des espaces naturels sensibles. Comment gérer au mieux ces attentes et éviter des conflits dont l’environnement ferait les frais ?
Réduire les dissonances
La Société d’Economie Alpestre (SEA), une vieille dame née en 1927 pour accompagner les pratiques de pâturage dans certaines zones de montagne, regroupe aujourd’hui des collectivités locales, des établissements publics, des agriculteurs, des acteurs des domaines skiables, des chasseurs, des associations diverses. Avec son équipe de techniciens, elle s’est donnée pour mission de promouvoir le dialogue : « Notre job, c’est de rendre compatible les différentes pratiques », disent-ils en parlant des usages qui se multiplient.
Ils ont fort à faire. D’une part, il y a des choix d’aménagement opérés pour certains usagers qui sont questionnés par d’autres, comme c’est le cas lorsque qu’on modèle les terrains pour la pratique du ski en retournant des sols fragiles où la repousse est très lente. D’autre part, il y a des frictions quotidiennes, provoquées par l’absence d’une culture partagée des règles et des usages : la majorité des promeneurs ramassent désormais leurs déchets mais ne voient pas de problème à pénétrer dans un chalet d’alpage, à laisser leur chien divaguer parmi les troupeaux ou à laver leur vélo dans un abreuvoir. Enfin, il y a des controverses techniques : les éleveurs considèrent que l’activité pastorale contribue à la biodiversité en produisant une mosaïque de milieux et en entretenant les espaces ouverts. Mais des associations naturalistes, sans nier ces effets positifs, font un constat plus mitigé lorsqu’elles constatent par exemple que des zones de repos nocturne des troupeaux sont installées dans des zones à espèces végétales sensibles ou lorsque les bovins investissent certains lieux en période de nidification. Pour elles, il faut affiner les connaissances et se donner des règles précises.
La SEA invite les acteurs concernés à trouver des terrains d’entente, en évitant les accords bilatéraux réducteurs comme c’est le cas lorsque des négociations sont engagées entre les domaines skiables et les propriétaires fonciers, qui excluent les éleveurs ou les naturalistes.
La mutualisation des connaissances débouche sur des messages, par exemple à l’intention des promeneurs (respecter la quiétude des troupeaux, refermer les barrières…) ou des éleveurs (éviter les zones humides, respecter les périodes de nidification des oiseaux dans des secteurs particuliers…). Ces recommandations ne sont pas différentes de ce qui peut se faire ailleurs, mais elles sont mieux comprises et partagées, lorsque le plus grand nombre d’acteurs locaux ont été associés à leur élaboration.
Des accords gagnant-gagnant
La SEA engage également des concertations préalables à des actions d’ampleur, comme depuis une dizaine d’années pour la gestion d’un alpage chamoniard pratiquement abandonné et envahi par les rhododendrons. Suite à cette concertation, un bâtiment est réhabilité pour un berger et un autre transformé en un abri pour les randonneurs. Au départ, on introduit des chèvres, puis des moutons afin de consommer à la fois les arbustes et le tapis herbacé. Le coût est pris en charge à l’origine par le Conseil départemental puis par la compagnie du Mont Blanc qui exploite le domaine skiable proche. L’opération est suivie de près par les chasseurs et les naturalistes de façon à ce que les troupeaux ne dérangent pas les oiseaux dans les phases sensibles de nidification et d’élevage des jeunes. Ces acteurs se retrouvent périodiquement avec les propriétaires et la Commune regroupés au sein de l’Association foncière pastorale pour suivre l’opération. En quelques années, les alpages sont reconquis et la végétation se diversifie.
Le projet permet de maintenir les pâturages dans un état satisfaisant, de préserver le patrimoine pastoral, le paysage et la biodiversité. Il contribue aussi à réduire le risque d’avalanche et ses conséquences destructrices sur les milieux naturels et les installations. Finalement, il y a des bénéfices environnementaux, la station de ski trouve un intérêt économique car elle n’a plus à broyer la végétation avant l’hiver, un emploi de berger est créé, l’amélioration du paysage profite au tourisme estival. C’est un jeu gagnant-gagnant.
De tels projets ne se concluent pas sans nombreux échanges, parfois non consensuels entre les partenaires. Mais la poursuite du dialogue sur un temps long, le croisement de regards différents sur le même espace et les résultats partagés construisent peu à peu une culture du faire ensemble.
Fiche mise à jour en 2019