
Le temps du dialogue est du temps de gagné
Entretien avec Paul Perras
Maire de Nuelles, dans le département du Rhône, Paul Perras est Président du Syndicat de Rivières Brévenne- Turdine, qui regroupe 48 communes. Il retrace les enseignements d’une concertation avec les acteurs du territoire et notamment avec les agriculteurs concernés par un projet de barrage visant à limiter le risque d’inondation et qui a conduit à une évolution sensible du projet initial (voir l’étude de cas « La gestion du bassin versant Brévenne Turdine » et cet autre entretien vidéo avec Paul Perras.
J’ai horreur du conflit. Je suis plutôt dans le consensus. Mais j’ai mes idées, j’aime arriver au bout et les concrétiser le plus possible. Je ne sais pas le faire dans le conflit, j’aime mieux la concertation, le dialogue et le partage. C’est ma conviction, ma ligne de conduite et ma manière de fonctionner. Je suis comme ça sur mon exploitation agricole donc j’ai fait pareil en tant qu’élu. C’est ma philosophie de vie.
Prendre le temps du dialogue, de l’explication et de l’écoute
On a pu mener une opération importante sur le territoire avec la construction d’un barrage. Et ce c’était pas gagné d’avance. On avait des agriculteurs dont certains venaient de subir une expropriation à cause de la construction d’une zone d’activité. Nous, on passait derrière et on allait encore leur emprunter du terrain, puisqu’on qu’on achetait la bande support du barrage. Il y a des conventions pour les inondations, mais tout le reste, ils en demeurent propriétaires et ils ont des nuisances. Et pourtant, on a réussi à faire passer le message. La dernière fois qu’on s’est retrouvés sur le terrain, moi j’étais très fier, car ils étaient porteurs du projet. Et ça, ça fait plaisir ! Ca veut dire que non seulement on a réussi à faire partager le projet, mais en plus, ils en sont devenus des acteurs à part entière. Et ce n’était pas gagné dès le départ. Dans cette démarche-là, on avait un objectif et pourtant on est allés au-delà de cet objectif. Donc, le temps du dialogue est du temps de gagné.
Notre chance, c’était de démarrer après un échec. Du coup, il n’y avait pas d’intérêt politique pour le syndicat, on a pu constituer notre équipe et le faire à notre manière. Avec la responsable du syndicat de rivières, on a commencé en prenant notre bâton de pèlerin. On est allés voir tous les maires du secteur. Lorsque le président se déplace et parle, ce n’est pas le même impact. On parle d’élus à élus. On a vraiment fait une démarche de terrain pour expliquer le rôle du syndicat, sa position et tout. On avait le bon message et on a pris le temps, même avec les institutions. Effectivement, on a passé beaucoup de temps, mais on a été récompensés en retour parce que les gens avaient compris les objectifs, la démarche du syndicat. On a créé un climat, une écoute, une confiance et un langage commun. Et donc, on n’avait plus de gens qui nous mettaient des bâtons dans les roues. Au contraire, quand ils avaient des problèmes concernant l’eau, ils venaient vers le syndicat. On est devenu vraiment un acteur de la concertation. On a une image de « besogneux » et une reconnaissance qui fait qu’aujourd’hui, on est appelés à mener des concertations pour des sujets qui ne sont pas au cœur du syndicat. D’une certaine manière, c’est de la démocratie participative, mais plus « naturelle » que politique.
Il faut rester humble, fidèle à ses objectifs : garder une ligne de conduite et s’y tenir. Et puis avoir un discours de vérité, tout simplement. Même si toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. C’est ce mélange qui fait qu’on garde une certaine crédibilité.
Une concertation réussie crée de la coopération entre acteurs du territoire
Prenons par exemple, la coopération qui existe aujourd’hui entre le syndicat de rivière et les agriculteurs. Évidemment, même si je suis agriculteur, on était sur deux mondes en opposition permanente, sur plusieurs sujets, et surtout autour de l’eau. Les agriculteurs ont besoin d’utiliser l’eau et, nous nous étions sur un objectif de la gérer mieux. Il y avait quelques divergences de vues. On a travaillé sur l’achat de matériel agricole, on a monté une opération avec des financements Europe et Région. Une opération où on s’est donné du crédit. Avec cette nouvelle image, autre que l’application de la réglementation, ça nous a ouvert pas mal de portes.
Comme dans toute action politique, il faut un pilote, quelqu’un qui tient l’avion. Modestement j’ai essayé de le faire. Après, quand les gens ont compris la démarche, très vite ça adhère.
Je pense qu’avoir eu une responsabilité politique dans un domaine qui n’est pas lié à mon activité professionnelle, cela m’a donné de la crédibilité, par rapport à une étiquette de militant ou spécialiste. C’est d’ailleurs plus confortable en tant qu’élu, car on ne part pas avec des idées préconçues et on ne rentre pas dans la technique.
D’ailleurs, l’action politique ne peut être conduite que si elle est partagée. Ce n’est pas parce qu’on est élu que nous détenons les vérités. Il faut convaincre les gens, partager pour trouver une vérité commune. Ce temps de concertation, de partage, n’est pas un temps de perdu, car on le regagne dans l’action.
On ne fait pas ce qu’on veut. On est dans une société avec des règles et on ne peut pas s’en affranchir. Il faut faire prendre en compte tout ça. En mettant tout le monde autour de la table au service d’une cause commune, on a gagné l’énergie qu’on aurait pu dépenser en se querellant.
Entretien recueilli par Hélène Cauchoix avec la participation de Betty Cachot, 2018.