
La maison de l’économie circulaire
Gouvernance partagée pour la récupération de produits usagés à La Réunion
La Réunion est victime d’une surproduction de déchets ménagers qui dépasse largement sa capacité de traitement. Les centres d’enfouissement sont saturés et les dépôts sauvages dénaturent le paysage. Les incinérateurs paraissent les seules solutions à cette explosion de déchets.
La question des déchets est souvent négligée par un territoire qui souffre de fortes inégalités sociales : 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, le taux de chômage est de 47% chez les jeunes, il y a trois fois plus d’illettrisme qu’en métropole. Pourtant, le territoire est d’une incroyable richesse, tant du point de vue des ressources naturelles que de la diversité des pratiques des habitants. Les savoir-faire des anciens sont encore bien présents (tisaneurs, lessives avec plantes locales, …) mais rarement transmis aux générations suivantes piégées dans la surconsommation. Pour l’association Ekopratik, qui rassemble une dizaine de personnes de la côte Ouest de la Réunion, si celle-ci est appelé l’île intense, ce n’est pas pour rien. Elle souffre de fléaux écologiques et sociaux tout en ayant ce qu’il faut pour une réelle transition : richesses naturelles, culturelles et humaine, le tout sur un territoire fermé à échelle humaine.
Une initiative citoyenne
Pour s’attaquer à la gestion des déchets, Ekopratik développe, dans un entrepôt délaissé, un laboratoire de récupération des produits usagés, qui centralise des ressources, qui promeut le collectif et expérimente le « faire ensemble » tout en adoptant de nouveaux modes de gouvernance.
L’idée a surgi en 2017 lorsque la communauté de communes TCO permet à Ekopratik d’occuper Recup’R, un hangar qui a abrité des activités de recyclerie et d’atelier de réinsertion menées par une association qui cesse ses activités. Malgré un bail précaire, Ekopratik se décide de se servir de ce lieu comme base logistique pour stocker du matériel et des outils nécessaires aux « réparali kafé », ces ateliers de réparation collective qu’elle organise depuis plusieurs années. Elle y tient également ses réunions d’équipe. Mais elle veut faire plus : créer un tiers-lieu de l’économie circulaire et du « Do It Yourself » (Faites-le vous-même), un endroit où l’économie circulaire rencontre le collaboratif, où l’on importe moins et on transforme plus, où l’on cherche à économiser les ressources : matière, temps, énergie, relation.
Concrètement, c’est un espace pour des activités de sensibilisation, des ateliers de réparation et de couture, une ressourcerie, un espace de vente de petit électroménager de seconde main et de produits d’acteurs de l’Économie sociale et solidaire, un espace de formation, de transmission, de partage, de montée en compétence…
Le nouveau Récup’R, c’est aussi un lieu en gouvernance partagée et d’intelligence collective, où chaque acteur (association, bénévole actif, entreprise, collectivité…) s’engage à s’investir pour le commun, et peut prendre part aux décisions communes.
La gouvernance partagée
L’association commence par se former aux outils collaboratifs d’intelligence collective, à les utiliser pour elle-même, afin de prendre de nouvelles habitudes et poser des bases solides. Petit à petit, elle teste des outils pour mieux piloter ses actions, comme des réunions de « triage des tensions ». Cela impose un changement de posture qui n’est pas toujours évident. Les salariés suivent le MOOC (cours à distance) sur la gouvernance partagée de l’Université du Nous.
Il s’agit aussi d’identifier et contacter des personnes ressources qui peuvent contribuer à cette transition humaine en apportant leur expérience en matière de communication non violente, médiation, gouvernance partagée, outils collaboratifs, forme juridique appropriée… en leur proposant un partenariat gagnant-gagnant sur la base d’un échange de services.
Un Cercle de gouvernance est ensuite mis sur pied, comportant un « cercle cœur », garant des valeurs, qui donnera l’impulsion à toute la machinerie : élaboration collective d’une raison d’être, d’un règlement intérieur, d’une charte ; définition des rôles et des cercles (groupes au sein desquels les personnes ont un pouvoir équivalent, qui favorisent l’écoute et l’expression de chacun) et leur périmètre d’autorité, les règles de prises de décisions. Ouverture du lieu, convivialité et délégation des responsabilités aux personnes motivées sont des principes de base de la gouvernance partagée.