
Gestion concertée du cône du Manival.
Mobilisation des usagers et des collectivités pour un projet partagé
Dans un territoire de vallée alpine soumis à une forte pression foncière, deux communes ont décidé d’engager une concertation entre les acteurs locaux pour élaborer un plan de gestion de la zone.
Le contexte
Située sur les communes de Bernin et de Saint-Nazaire-les-Eymes, la coupure verte du Manival est un espace naturel agricole et forestier périurbain, de près de 600 ha, parmi les plus importants du Grésivaudan. Recelant de grandes qualités paysagères et récréatives, elle reste avant tout une zone agricole qui compte économiquement et symboliquement, notamment avec la présence du cœur du vignoble des coteaux du Grésivaudan.
Première réelle coupure dans l’urbanisation depuis Grenoble, elle est actuellement protégée par le Schéma Directeur de la Région Grenobloise qui encourage fortement sa valorisation en un bien commun, voulu et défendu par le plus grand nombre d’acteurs et d’usagers.
Toutefois, la vallée du Grésivaudan, très contrainte par le relief et les risques naturels, connaît un grave problème de manque d’espaces habitables encore renforcé par le fort développement économique du territoire. Cette zone naturelle est donc l’objet de toutes sortes de convoitises exacerbées par la féroce pression foncière qui s’exerce dans tout le secteur. On constate en effet dans les communes concernées un différentiel de prix entre la terre agricole et le terrain à bâtir de l’ordre de 1 à 700 euros le m2.
Sa situation et sa multifonctionnalité croissante soumettent cet espace à diverses et nombreuses fréquentations qui induisent certaines tendances conflictuelles. La gestion de ce site est donc particulièrement complexe d’autant qu’elle suppose la collaboration d’acteurs aux stratégies et enjeux d’intérêts parfois contradictoires. Les relations entre chasseurs et promeneurs, entre agriculteurs et environnementalistes ou entre propriétaires et collectivités ont déjà un passé, pour ne pas dire un passif, qui nécessite une intervention extérieure pour pouvoir envisager une discussion et une concertation autour d’un projet commun.
Les enjeux et les problèmes
Dans ce contexte, les municipalités sont démunies car leur légitimité est contestée pour élaborer un projet qui garantisse la pérennité de cette coupure verte reconnue d’intérêt collectif. Même si c’est le message qu’elles ont affiché à de multiples reprises depuis plusieurs années, elles sont soupçonnées, notamment par les propriétaires et par les naturalistes, de préparer de « juteuses » opérations foncières et immobilières à moyen ou long terme.
Aussi, l’enjeu est-il de rechercher collectivement, en associant les acteurs locaux et les habitants, le moyen de renforcer et garantir la protection de la zone et de définir un projet global de gestion de cet espace afin qu’il ne puisse pas être remis en question dans l’avenir.
Il s’agit notamment de refonder un projet agricole, actuellement en déshérence, qui intéresse les agriculteurs comme les propriétaires fonciers, mais qui tienne compte des dimensions environnementales, paysagères et récréatives, ce qui n’est pas réellement le cas à l’heure actuelle.
Les objectifs
Globalement, les objectifs initiaux de la démarche, énoncés par les communes maîtres d’ouvrage, sont de mettre en place les moyens de protéger, de valoriser et de gérer durablement ce site exceptionnel et de rompre avec la situation actuelle, par le biais d’une démarche collective associant élus, agriculteurs, propriétaires, naturalistes et tous les usagers du site.
Dans ce contexte, les objectifs du « dialogue » sont :
– De faire émerger un projet global porté par l’ensemble des acteurs
– De mieux impliquer les agriculteurs et les habitants des communes dans l’avenir de cet espace
– D’amener chaque groupe d’acteur à formaliser ses propres attentes et à prendre conscience et considérer les attentes des autres, pour élaborer un projet qui réponde à l’intérêt général et pas seulement à quelques intérêts individuels.
Les partenaires
Les partenaires sont les suivants :
– Les deux communes de Bernin et ST-Nazaire-les-Eymes sont les maîtres d’ouvrage de la démarche. Elles ont pris en charge le financement de l’animation et d’un diagnostic, soutenues par leurs intercommunalités, par le Syndicat mixte du Schéma Directeur et par la Fondation de France.
– Le maître d’œuvre sélectionné par les communes est l’Association pour le Développement de l’Agriculture dans l’Y Grenoblois (ADAYG)
– Les deux maires des communes et des membres de leurs conseils municipaux
– Les représentants des propriétaires (qui se sont organisés en association de « défense » pour l’occasion)
– Les représentants des agriculteurs et de la cave coopérative
– L’ONF qui gère les forêts sur le haut du site
– Les représentants des deux ACCA (chasseurs locaux)
– Les représentants de l’association de pêche de l’une des deux communes
– Les représentants de l’association naturaliste locale (qui viennent accompagnés d’un représentant de leur fédération départementale)
– L’Agence d’urbanisme et l’urbaniste qui suit la révision du PLU en cours sur l’une des deux communes, ainsi que le directeur du Syndicat mixte du schéma directeur pour qui c’est une opération « test »
– Les représentants de la SAFER
Les partenaires associés, après information sur la démarche par voie de presse, l’ont été collectivement au cours des premières réunions de concertation et réunions publiques.
Les étapes
1. Sensibilisation des acteurs et formalisation de la démarche
Cette étape s’est déroulée fin 2004 et début 2005, elle a consisté en l’organisation d’une conférence de presse, de réunions publiques et surtout de la constitution d’un groupe de concertation
2. Réalisation d’un diagnostic partagé
Ce diagnostic a été piloté par l’ADAYG entre 2005 et 2006 et complété par un travail de la SAFER sur l’identification des propriétaires et leur posture par rapport au devenir de cet espace.
3. Elaboration d’un projet de territoire
En fin de diagnostic, entre 2006 et 2007, les différents partenaires ont convenu des enjeux du territoire. Ils ont inscrit cela dans 4 orientations :
– La protection de la zone
– Le maintien de l’activité agricole
– La protection de la biodiversité
– La gestion des activités récréatives.
4. Elaboration d’un programme et d’un contrat d’action
Parallèlement à l’élaboration du projet de territoire, ce document politique a été traduit dans un document plus technique : le programme d’action. Celui-ci reprend les différentes orientations du projet de territoire et détermine pour chacune d’entre elles les actions concrètes permettant de les mettre en œuvre. La rédaction de ce programme d’actions visait donc à :
– Traduire et assurer la mise en place des vocations confirmées des espaces.
– Impliquer plus encore les différents acteurs dans l’accomplissement de la démarche
– Inscrire dans les faits les orientations du projet de territoire.
La proximité des élections a empêché la validation de ce programme d’action. Depuis, les municipalités ont changé, particulièrement sur Bernin, ou une nouvelle équipe a été élue. Des contacts ont été pris pour envisager la suite de la démarche. Celle-ci a reçu un bon accueil des nouveaux élus et elle devrait prochainement faire l’objet d’un engagement formel des collectivités et des différents acteurs impliqués sur les moyens consacrés à sa réalisation dans un « contrat d’action » entre les différents partenaires.
Comment le dialogue s’est engagé
Le dialogue s’est engagé à l’initiative des communes et s’est appuyé sur la constitution de la commission de concertation. Il s’est déroulé selon le principe de la méthode stabilisée par l’ADAYG pour la mise en place d’une gestion concertée des micro-territoires, arrêtée dans le cadre du programme européen « Métropole Nature ». Cette démarche reprend les étapes suivantes :
1. sensibilisation des acteurs et formalisation de la démarche
2. réalisation du diagnostic partagé
3. élaboration d’un projet de territoire
4. élaboration d’un programme d’action
5. élaboration d’un contrat d’actions
6. mise en œuvre des actions et pérennisation de la démarche
Les résultats
La mobilisation des acteurs s’est faite en premier lieu à travers une campagne de presse présentant la démarche, ses objectifs, les premiers partenaires mobilisés €¦ Dans un deuxième temps, afin d’associer les acteurs « inorganisés », deux réunions publiques ont été organisée, un première particulièrement en direction des propriétaires, une seconde, « tout public », destinée à associer plus particulièrement les habitants. Ces derniers ont également été tenus au courant de l’avancée des réflexions par les bulletins municipaux et des réunions publiques thématiques complémentaires (notamment sur les problèmes de protection de la zone) ont été organisées en parallèle avec la réflexion sur la révision du PLU de Bernin.
Une trentaine de personnes ont participé à la commission de concertation mais 130 personnes étaient à la réunion des propriétaires et près de 250 à la réunion publique.
La commission de concertation réunissait environ : 1/3 élus des communes et des intercommunalités du secteur et 2/3 des acteurs de la zone : agriculteurs, association de propriétaires et habitants (créée pour l’occasion), associations protection de la nature, chasseurs, services CGI gestion des corridors écologiques, Agence d’Urbanisme, Syndicat Mixte du Schéma Directeur,
Le dialogue a porté sur les 4 préoccupations principales des acteurs :
– La protection de la zone
– Le maintien de l’activité agricole
– La protection de la biodiversité
– La gestion des activités récréatives.
Les échanges étaient cordiaux et constructifs au sein de la commission de concertation, sauf avec les propriétaires qui vivaient la démarche comme une dépossession de leurs « droits fondamentaux ». De plus, pour certains d’entre eux, ce projet « congelait » leurs espérances de réaliser une plus-value foncière substantielle à court ou moyen terme. Les propriétaires ont donc cherché à ralentir et à faire échouer la démarche, mais leur mise en minorité par les autres acteurs a tout de même permis d’aboutir. La proximité des élections municipales a été un élément perturbateur de la démarche et des relations dans la commission de concertation. Ce type d’opération est, semble-t-il, plus facile à gérer en début plutôt qu’en fin de mandat.
Les suites
Un certain nombre d’actions ont pu être réalisées (installation d’un jeune viticulteur avec le soutien de la commune de Bernin, signature d’une « charte agricole communale », installation d’une plateforme collective de traitement des produits phytosanitaires. Suite aux élections municipales, une période de sensibilisation des nouveaux élus s’est avérée nécessaire. Selon les premiers contacts, la démarche devrait se poursuivre et se concrétiser dans les semaines et les mois à venir. La création d’une association regroupant tous les acteurs de la zone, afin de pérenniser la concertation, est notamment en projet.