
Essaimage de l’éolien citoyen
Energies citoyennes en Pays de Vilaine
Lorsque qu’apparaissent à l’horizon ces flèches blanches, et leurs pales entrainées par le vent, les opinions diverses ne manquent pas de s’exprimer. Car la question des éoliennes, et de leur implantation, fait débat. Il y a ceux qui voient dans ces dispositifs une voix pour s’engager vers un schéma énergétique plus durable, nécessaire pour faire face aux enjeux climatiques et à la recherche d’alternatives énergétiques. Et ceux qui perçoivent les impacts négatifs de ces installations, qui sont susceptibles d’engendrer des nuisances sonores et qui interviennent aussi sur le composition des paysages. La question des retombées économiques de ces projets au plan local est aussi régulièrement questionnée, puisqu’elle peut se résumer, dans le cas de projets « classiques », uniquement à un peu de taxe fiscale.
C’est dire si les éoliennes font parler d’elles. Et c’est particulièrement le cas dans l’ouest de la France qui connaît depuis plusieurs années un fort développement de cette industrie. Conscients de ces points de vue divers, mais désireux d’avancer dans la production d’énergie renouvelable sur son territoire, des citoyens décident de créer l’association «Eoliennes en Pays de Vilaine» (EPV. Devenue depuis peu Energies citoyennes en Pays de Vilaine). Son objectif ? Développer un éolien citoyen accepté par le plus grand nombre et créateur de richesse locale.
Des principes forts d’intervention
Mais finalement qu’entend-on par éolien citoyen ? Pour EPV il s’agit d’un projet de production d’énergie renouvelable porté, maitrisé et financé par des particuliers et/ou des collectivités. Il se distingue des projets participatifs où la contribution financière des citoyens reste minoritaire et leur place dans les processus de décision et de gestion anecdotique. Les habitants se veulent ici au centre de la démarche de son émergence jusqu’à l’exploitation, et sur ses différents aspects (technique, juridique, financier, relationnel…). Au-delà de l’implication financière, ces projets d’éolien citoyen privilégient une gouvernance locale, transparente et démocratique. Une partie des bénéfices est en outre affectée à la dimension pédagogique ou à d’autres projets citoyens et solidaires.
Favoriser la concertation autour des projets éoliens
La démarche proposée par EPV a pour objectif d’impliquer les citoyens dans cette réflexion et sur la mise en œuvre de production d’énergie. Pour cela, sur chaque territoire où une installation peut s’envisager, un groupe projet, composé autant que possible d’une mixité d’acteurs (élus, habitants, représentants associatifs, acteurs techniques) est en charge du pilotage du projet en lien avec l’association.
Le groupe projet décide en lien avec un comité de suivi composé d’habitants de la mise en place du parc éolien et des réunions publiques et autres instances de concertation, pendant les étapes de la démarche : diffusion de documents d’information, réunions de présentation avec les partenaires techniques, exposition sur différentes thématiques (énergies renouvelables, paysage, avifaune), visite de parcs existants, rencontre avec d’autres territoires. Le travail de sensibilisation et d’essaimage passe par différentes modalités : élaboration de documents de communication, site internet, présence sur des manifestations, réponses à des sollicitations précises. Une mobilisation des citoyens est engagée en parallèle sur la question du financement du projet, qui peut passer, par exemple, via des CIGALES (Clubs d’Investisseurs pour une Gestion Alternative Locale de l’Epargne Solidaire).
Une simulation économique des projets est faite, ainsi que des modalités d’affectation des résultats et de partage des dividendes : au profit des apporteurs de parts et au profit de l’ensemble du territoire du projet (ex : information et sensibilisation sur la maitrise de la demande énergétique et les énergies renouvelables). Ces modalités sont présentées lors de la concertation locale avec les acteurs.
Ainsi, sur les deux sites déjà en activité (Béganne et Sévérac-Guenrouët) ce sont environ 1200 habitants du territoire qui ont investi financièrement. Les comités de direction qui pilotent les installations sont composés de citoyens bénévoles, appuyés par un mi temps salarié. L’implication majoritaire des habitants dans les comités de direction sont une condition indispensable pour EPV, afin de garantir la dimension citoyenne. Ceux-ci sont chargés de suivre l’exploitation mais également de traiter les questions soulevées par les riverains telles que les nuisances sonores, le taux de mortalité des oiseaux ou chauve-souris… L’ouverture de ces comités aux citoyens permet à ceux qui peuvent avoir des réserves sur les effets de l’implantation d’éoliennes d’agir « de l’intérieur ». A l’image de ce membre du groupement mammalogique breton impliqué dans un comité de direction au sein duquel il peut relayer directement les préoccupations concernant la mortalité des chauves souris aux abords des éoliennes. Ce comité devient donc un lieu de concertation et d’échange permanent.
Force est de constater que les deux parcs déjà en activité n’ont pas subi d’opposition forte à leur implantation, à l’image de ce que l’on peut voir ou craindre parfois dans ce type de projet. Pour expliquer cela, le président d’EPV met en avant les efforts tournés vers l’information des riverains très en amont du projet, avec des visites à domicile. Une anticipation forte qui permet d’expliquer la démarche et de désamorcer les potentiels conflits, bien en amont de l’enquête publique.
Essaimer la démarche
L’expérience acquise par EPV, avec deux parcs éoliens en service et un en phase de concrétisation, lui vaut d’être fréquemment sollicitée pour faire part de sa démarche et la reproduire sur d’autres territoires. Ces demandes extérieures ont conduit à un projet d’essaimage de l’éolien citoyen dont les objectifs sont la poursuite des projets en cours, la mise en œuvre de nouveaux sites mais également la formalisation du cadre juridique permettant de garantir la dimension citoyenne des projets. Cet essaimage se caractérise par la formalisation et l’animation d’un réseau régional des projets citoyens en Bretagne, le réseau Taranis. Une démarche similaire est également animée en Pays de la Loire. En parallèle, une plate-forme nationale s’est structurée au sein du mouvement Energie Partagée, qui porte un fonds d’investissement dédié aux énergies renouvelables citoyennes.
Impacts sur l’environnement
S’il est assez aisé de percevoir l’impact positif de l’installation d’éoliennes quant à la production d’énergie plus respectueuse de l’environnement, la question peut se poser de la plus value qu’apporte la concertation, et dans ce cas l’implication forte des citoyens à toutes les phases du projet.
A cette question, le président d’EPV répond que la dimension citoyenne fondatrice de leur démarche permet de créer « un terreau d’évolution pour une transition énergétique et sociétale ». Les 1200 citoyens locaux impliqués dans la démarche seront autant de personnes plus réceptives aux réflexions sur les économies d’énergie. En outre, une partie des bénéfices réalisés par l’exploitation des parcs éoliens, est réinvestie localement sur des actions visant à la maitrise de la demande en énergie. Des réflexions sur les éco-gestes ou les modes de chauffage et d’isolation sont ainsi organisées sous forme d’ateliers ou de groupes d’échanges entre citoyens. Ces ateliers sont ouverts prioritairement aux investisseurs et adhérents, mais également aux riverains subissant une gêne potentielle du fait de l’installation de l’éolienne (visuelle, sonore). Une certaine forme de mesure compensatoire.
Une mobilisation permanente
Les projets éoliens s’inscrivant dans des durées assez longues (5 à 7 ans jusqu’à la mise en service, puis 20 à 25 ans pour l’exploitation), l’enjeu de la mobilisation des acteurs sur le long terme est donc primordial. Et une fois que les parcs sont installés, pas question de laisser de côté l’ensemble des personnes ayant contribué au financement. Les dividendes du premier parc vont être reversés à partir de 2018, l’occasion pour EPV de poursuivre la mobilisation citoyenne en reprenant contact avec l’ensemble des clubs d’investisseurs ayant soutenu le projet. Et ce afin de réfléchir avec eux à la possibilité de soutenir et développer de nouveaux projets. Des idées autour de l’achat groupé de vélos électriques ou de cuisson écologique émergent déjà. De quoi poursuivre le cercle vertueux de l’investissement écologique, tant monétaire qu’humain.