
Démocratie forte.
Le dialogue politique (extrait)
« « J’écoute » n’implique pas que je cherche la faille dans le discours de mon adversaire, ou le moyen d’extorquer un arrangement, ni que je le laisse poliment exprimer son avis. « J’écoute » signifie que je vais essayer de me mettre à sa place, tenter de le comprendre, m’efforcer de saisir ce qui nous est commun en gardant à l’esprit notre intérêt mutuel ».
L’écoute et l’affectif
Pour Benjamin Barber, le dialogue politique s’appuie autant sur l’écoute que sur la parole et il est autant affectif que cognitif. Pour lui, le dialogue politique a deux caractéristiques principales : écoute et dimension affective.
L’écoute : beaucoup de démocrates libéraux assimilent le dialogue à la parole, alors que sa portée et son but dépassent le domaine de la réflexion pour s’engager dans le champ de l’action. L’écoute est un art qui favorise l’empathie et le rapprochement. Dans un dialogue, le silence est aussi précieux que le bruit.
L’affectif : la parole ne peut pas être emprisonnée dans la raison, elle est médiatrice d’affection et d’affiliation, elle construit une communauté entre les hommes et ne se résume pas à l’expression des intérêts de chacun.
Les fonctions du dialogue démocratique
Un dialogue démocratique possède les fonctions suivantes :
- Formulation des intérêts, marchandage et échanges. C’est la fonction principale du langage dans le système de pensée libéral. Elle consiste à exprimer, souvent de manière quantitative, les intérêts personnels des individus.
- Persuasion. Persuasion et rhétorique permettent de faire accepter aux autres la légitimité de son intérêt propre. Réduire le langage à cette notion, cela revient à faire l’économie d’une réflexion sur l’intérêt général et sur l’altruisme. Si on considère que le langage est seulement persuasion et argumentation, on postule que chaque individu a d’abord pour objectif de défendre son intérêt particulier. C’est de fait la fonction qu’adopte le représentant institué d’un groupe lorsqu’il s’en fait le porte-parole.
- Etablissement de l’agenda politique. Cet agenda est souvent le domaine réservé des élites, mais il peut également faire l’objet d’un dialogue politique. Par agenda, on n’entend pas seulement le fait d’établir un calendrier, mais aussi de définir les questions à traiter, de les formuler et de préciser la façon dont on les abordera. Faire des choix entre des options définies par avance n’est pas suffisant en matière de participation citoyenne, il faut aussi contribuer à définir les questions pertinentes à traiter et la manière de les aborder.
- Recherche d’une mutualité, c’est-à-dire d’une compréhension mutuelle. Il ne faut pas réduire le dialogue à un marchandage. Le langage sert également à affirmer des proximités. Il faut, à ce niveau, s’affranchir de l’exigence de précision et d’objectivité du discours, laisser opérer la subjectivité et l’affectif, pour permettre l’expression de visions opposées du monde, leur rencontre et la recherche de convergences.
- Reconnaissance et affection. La tonalité du langage permet d’exprimer des affections et des sentiments, ce qui est un préalable à l’empathie. Il n’est pas de lien social plus fort que celui créé par l’empathie car celle-ci invite au consensus, au sentiment d’appartenance commun, à la recherche de solutions nouvelles. C’est une condition nécessaire au passage du « moi » défini par l’intérêt privé au « nous » civil, propice à l’action politique commune.
- Maintien de l’autonomie. Le dialogue doit avoir pour fonction de sortir du cadre étroit des intérêts particuliers mais il doit également renforcer l’autonomie de pensée et la volonté des individus, qui sont essentielles à la démocratie. Le dialogue doit donc permettre à chacun de se forger une conviction propre et non pas de se fondre dans un consensus impersonnel qui pourrait, à la longue, tendre au dogmatisme.
- Ecoute et expression. Se rallier à une opinion générale ne signifie pas trahir ses convictions : il est parfois nécessaire de le rappeler et il est toujours sain de l’exprimer. L’une des fonctions du dialogue est donc de permettre l’expression de défiances ou de désaccords, même si les personnes concernées décident de se soumettre à l’avis de la majorité ou de concéder un compromis. Le fait de dire « Malgré tout, je crois que… » est important : le but de n’est pas de s’épancher ou de se défouler, mais de marquer la possibilité d’accords même en présence d’une hétérogénéité d’opinions. Ce type de remarque a une valeur pédagogique forte dans un dialogue démocratique.
- Reformulation et reconceptualisation. Le nom donné aux choses affecte la vision que nous en avons. Le fait de les qualifier permet donc de porter sur elles un jugement. Il ne faut pas laisser aux élites l’exclusivité du pouvoir de nommer et par là même de qualifier les situations, les problèmes et les événements. Renommer, chercher les expressions qui conviennent à tout le monde fait partie d’un travail de dialogue.
Professeur en sciences politiques, Benjamin Barber est ancien conseiller de Bill Clinton.