
Concertation pour la Réserve Naturelle des Partias
Concilier la préservation d’un espace naturel de montagne avec les activités humaines
La Réserve Naturelle Régionale des Partias, crée en 2009, se trouve dans les Hautes-Alpes, à une dizaine de kilomètres de Briançon. Il s’agit d’un site de montagne constitué de sommets, de grands alpages, de falaises, d’éboulis, de zones humides, de petits lacs et d’une forêt de mélèzes, qui abrite un patrimoine floristique et faunistique d’une grande richesse. Ce site, de 685 ha initialement, puis 803 ha depuis 2019, s’étend entre 1600 m et 2900 m d’altitude. La réserve est gérée par la LPO PACA et la commune de Puy-St-André.
De multiples activités humaines ont lieu sur ce territoire, telles que le pastoralisme et des activités touristiques et sportives de pleine nature notamment le ski de randonnée. Or, les espèces animales, notamment le Tétras lyre, la Lagopède alpin et la Perdrix bartavelle, sont très sensibles au dérangement hivernal. Concilier la pratique de ces activités et la préservation des écosystèmes est une des orientations majeures pour la gestion de la réserve des Partias.
Skieurs et Tétras-lyre : conflits d’usage dans la neige
La LPO PACA a tout d’abord dressé un bilan des secteurs sensibles pour certaines espèces d’oiseaux (les galliformes de montagne), puis les a croisés avec les secteurs fréquentés l’hiver. Il en ressort que les secteurs utilisés pour la randonnée en raquette et pour le ski hors-piste ne présentent pas d’enjeu majeur pour la faune. En revanche, les itinéraires de ski de randonnée posent problème : ils croisent des secteurs utilisés par le Tétras lyre. Le ski de randonnée se pratique de façon autonome par des locaux plutôt qu’en groupes encadrés par des professionnels. Le nombre de skieurs est en augmentation et la période de pratique s’allonge.
En outre, les oiseaux comme les skieurs aiment la même neige : la poudreuse. Elle est légère pour le skieur et isolante pour le Tétras qui s’y réfugie. Le passage des skieurs dérange le Tétras qui s’échappe de sa cachette pour aller se percher à proximité, ce qui l’expose aux prédateurs et menace sa reproduction.
Gérer ce conflit d’usage passe nécessairement par une concertation entre les naturalistes et les skieurs. L’objectif n’est pas simplement d’informer ou de consulter ces derniers, mais de bâtir, en concertation, des réponses adaptées à la problématique et cohérentes avec les besoins et les attentes de chacun. La LPO fait le pari que, lorsqu’elles sont appuyées sur une concertation efficace, les décisions prises sont plus facilement acceptées, voire promues par les usagers du site.
Après l’identification des problèmes réalisée antérieurement, la LPO organise deux réunions préliminaires au cours desquelles l’implication forte d’un skieur local permet d’affiner la carte des itinéraires fréquentés.
Puis, un groupe de travail « concertation » est mis en place en 2012, auquel sont conviés les acteurs intéressés par les sports de nature : collectivités territoriales, services de l’État, associations, pratiquants individuels, professionnels, acteurs de la protection de la nature, des sports, du tourisme, propriétaires et usagers du lieu. Ce groupe se réunit à deux occasions.
D’autres évènements sont organisés : réunion publique d’information, sortie sur le terrain, conférences.
Au sein du groupe de travail, des propositions sont discutées : interdire la fréquentation avec un outil juridique? Mettre en défens toute la zone avec des filets ? Progressivement, un principe s’impose et est validé par tous : canaliser les skieurs plutôt qu’interdire. Il s’agit d’assurer la protection des zones d’hivernage du Tétras lyre en mettant en place un balisage informatif et dissuasif à l’aide de cordages, de fanions et de panneaux.
Une mise en œuvre collective
La concertation ne s’arrête pas. La LPO sollicite ses partenaires pour un travail bénévole de mise en place des aménagements sur le terrain : façonnage de plus de 1000 fanions, puis mise en place à l’automne 2013 au cours de deux journées de chantier avec l’aide des partenaires impliqués dans le projet, en particuliers des skieurs locaux et le Club Alpin Français de Briançon. Ainsi, l’implantation des cordages pour matérialiser les zones protégées s’est faite fait sur place en prenant en compte les contraintes du terrain, les enjeux pour le Tétras lyre et les demandes des skieurs.
Treize personnes ont matérialisé deux zones à contourner à ski de randonnée. Au total, environ 700 mètres linéaires de cordages balisés de fanions ont été accrochés dans les arbres, sur deux hauteurs afin d’être bien visibles et de s’adapter aux variations du manteau neigeux. Le texte d’un panneau explicatif est rédigé collectivement pour compléter ce dispositif.
En 2015, un premier bilan est tiré : les deux premières années de la protection des zones d’hivernage du Tétras lyre sont assez satisfaisantes : les zones de mise en défens ont été globalement respectées par les skieurs (un peu moins la deuxième année) et les zones d’hivernage semblent bien utilisées par les Tétras lyre (avec une hausse des effectifs à confirmer).
Il est donc décidé de maintenir le dispositif dans les années à venir, avec des opérations régulières de suivi, d’entretien et d’évaluation de leur efficacité (respect par les skieurs et comptage des oiseaux). L’évolution des zones de peuplement du Tétras et des zones fréquentées par les skieurs est réalisé afin d’adapter le dispositif au besoin. La sensibilisation est une composante essentielle du dispositif de protection choisi car pour qu’il soit efficace, il est impératif que les skieurs respectent les indications qui leur sont données sur le terrain. Le panneau informatif est utile mais ne suffira pas : la présence du personnel de la réserve est pendant l’hiver est également indispensable.
Changer d’échelle : construire le plan de gestion de la réserve de façon concertée
En 2019, suite à un nouveau chantier participatif et citoyen qui s’est très bien passé, la Réserve décide de passer à une autre échelle : élaborer son nouveau plan de gestion de façon concertée. C’est un enjeu important car le plan de gestion regroupe toutes les actions de la réserve naturelle. Habituellement, une fois que le plan de gestion est décidé et validé, la LPO qui gère la réserve passe beaucoup de temps à expliquer ce qu’elle fait et pourquoi elle le fait. L’élaboration du nouveau plan de gestion étant un grand chantier à mener, pourquoi ne pas le faire en coproduction ? Forte de ses expériences, la LPO souhaite aller plus loin qu’une simple consultation du public et imaginer la gestion future de la Réserve naturelle avec les habitants.
Le premier enjeu est de mobiliser les acteurs du territoire. Ceux-ci sont nombreux : citoyens de la commune et plus largement du Briançonnais, professionnels du tourisme, des activités de pleine nature, des activités sylvopastorales, chasseurs, etc.
La seconde étape consiste à partager le diagnostic des enjeux du territoire. Pour définir la réserve naturelle de demain, il est nécessaire que l’ensemble des parties prenantes partagent plus ou moins la même vision. Certains éléments sont factuels : patrimoine naturel inventorié, activités et infrastructures. D’autres sont plus interprétatifs : menaces, impacts, dynamique d’évolution des milieux, etc. Des ateliers de concertation sont organisés, sur les thématiques retenues comme prioritaires par les citoyens « concertés ».
Enfin, il s’agit de co-construire un plan d’actions partagé avec des acteurs du territoire dont les intérêts sont multiples voire contradictoires. La concertation, la confrontation, l’échange, le débat seront de mise, en vue d’aboutir à un consensus. Cela permettra, si possible, de co-réaliser des actions citoyennes pour la transition écologique de la Réserve naturelle. Pour ne pas en rester à un plan de gestion sur papier, et afin d’amorcer des réflexes de la transition écologique en pratique, le projet vise également la mise en place d’actions concrètes avec les citoyens.
Finalement l’ensemble de ces actions innovantes, basées sur le territoire de la Réserve naturelle régionale des Partias, a pour but à la fois de mieux gérer ce vallon de montagne mais aussi de diffuser ces bonnes pratiques sur un territoire plus vaste qu’est le Briançonnais.
Fiche mise à jour en 2018 et en 2020 à partir d’informations fournies par Vanessa Fine.