
Agriculture et nature dans la ville
Concertation et mobilisation des habitants pour préserver et valoriser les espaces ouvertes ouverts et agricoles du plateau de Saclay et vallées attenantes
Le plateau de Saclay, aux portes de Paris, abrite un important pôle scientifique qui attire des entreprises nationales de hautes technologies ainsi que des universités et des grandes écoles. Le projet d’urbanisation Paris-Saclay est en effet un projet phare de la métropole parisienne, supposé être un moteur de l’industrie française et européenne et un nouvel espace d’expansion pour des établissements de recherche et d’enseignement. Mais c’est aussi un espace agricole aux terres exceptionnellement fertiles où la production de céréales est ancienne. Enfin, c’est un lieu de vie pour une population attachée à ses paysages ouverts de vaste plaine et à ses chemins. Ces destins sont-ils bien compatibles ?
Renouer les fils entre les agriculteurs et les habitants
Préoccupés par l’urbanisation qui grignote les terres cultivables, les agriculteurs du plateau se mobilisent au début des années deux-mille. Ils réalisent en 2001, avec quelques habitants et élus locaux, un diagnostic partagé. Ce travail montre que l’agriculture est considérée par les habitants comme un élément important de l’identité et de l’avenir du territoire. L’association Terre & Cité est créée et décide alors de mobiliser les acteurs locaux pour la préservation des espaces agricoles.
Pourtant, la production de céréales est alors peu tournée vers les habitants. En 2003, des producteurs et des consommateurs créent une AMAP (Association pour le maintien de l’agriculture paysanne) afin de développer les circuits alimentaires locaux. Depuis, plusieurs exploitations ont pris la mesure de l’intérêt des filières de proximité et des démarches qualitatives comme l’agriculture biologique, qui contribuent à renouer des fils distendus entre les agriculteurs et les habitants. En 2005, une Société Civile Immobilière est constituée pour racheter vingt hectares de terres agricoles et soutenir ainsi un des agriculteurs.
L’association Terre & Cité multiplie les initiatives visant à mobiliser et sensibiliser la population : cartographie participative du territoire, création de parcours de découverte, sentier d’interprétation agricole, randonnée collective, sorties et animations scolaires…
En 2013, elle passe la vitesse supérieure en faisant activement appel à la population locale. Après une expo photo dans une ferme et une réunion d’information, elle organise deux forums ouverts d’une journée entière, sur les filières de proximité ainsi que sur la découverte et la valorisation du territoire. Ce sont des assemblées ouvertes à tous durant lesquelles les participants partent d’une question générale définissent eux-mêmes les sujets qui les intéressent, se répartissent en petits groupes, échangent et formulent des propositions concrètes. Le premier de ces forums s’organise autour de la question « Comment développer une alimentation de qualité, plus locale ? » et le second : « Comment construire ensemble un territoire vivant et convivial ? Circulations douces, patrimoine, agriculture, biodiversité ».Ils rassemblent chacun une centaine de participants désireux de co-construire des priorités pour leur territoire. Pour poursuivre la réflexion, une dizaine d’ateliers de travail sont ensuite organisés sur les sujets que les participants ont jugés prioritaires, ce qui abouti à la rédaction d’un rapport de synthèse qui a nourri par la suite la candidature du territoire au programme européen Leader (obtenu en 2015) et le programme d’action de la Zone de Protection prévue par la loi.
Une concertation à plusieurs niveaux
Pour Terre & Cité, la formulation d’un projet durable passe par la mobilisation de l’intelligence collective. « La concertation fait partie de notre patrimoine génétique », rappelle un de ses animateurs. C’est sa raison d’être et son mode de gouvernance que de faire se rencontrer les acteurs et de tenir compte des expériences de tous afin de construire un territoire vivant.
Suite aux ambitieux projets de l’Etat et de la métropole parisienne, l’association doit s’engager dans un dialogue à plusieurs niveaux. L’un d’eux est celui des habitants, des usagers, des agriculteurs, des associations locales. Il s’agit de créer du lien, de trouver des soutiens, de faire émerger des idées et finalement de garantir la légitimité des propositions qui seront portées à un autre niveau. A cette échelle, la convivialité et la créativité sont des conditions indispensables de la réussite. Mais ces choix s’inscrivent aussi dans la gouvernance de l’association, constituée de quatre collèges : élus locaux, agriculteurs, associations et société civile.
Un autre niveau, qui doit être relié au premier par des acteurs communs, est celui ces institutions, auprès desquelles il est nécessaire d’être présent. C’est le cas de l’Etablissement public du plateau de Saclay (EPPS), mis en place par les pouvoirs publics pour développer les projets. Outre la gouvernance de l’association, plusieurs espaces existent aujourd’hui pour travailler au devenir des espaces ouverts du territoire.
C’est le cas du programme Leader[1] initié et animé par Terre & Cité, qui a démarré en 2015. C’est le cas également pour la Zone de protection Naturelle Agricole et Forestière, dont le périmètre a été créé par décret en décembre 2013. Cette zone doit être accompagnée d’un règlement mais aussi et surtout d’un plan d’actions, dont l’élaboration a fait l’objet d’une concertation approfondie en 2016 et 2017. L’implication concrète des acteurs dans la dynamique est un enjeu crucial pour le succès à long terme de ce projet.
A ces niveaux où les enjeux économiques et politiques sont puissants et où les rapports de force s’expriment avec vigueur, il faut savoir créer des alliances, faire preuve d’une bonne connaissance des institutions, de capacités de négociation et de compétences juridiques. Les acteurs sont multiples et variés, autant dans leur perception du territoire que dans leurs objectifs et culture de travail : l’Etat et ses institutions, les entreprises, les associations locales, les habitants, les agriculteurs… Les collectivités territoriales et certaines associations comme Terre et Cité jouent donc un rôle important d’intermédiation.
Des effets concrets mais qui ne font pas l’unanimité
La création par la Loi du 3 juin 2010 d’une Zone de protection a été saluée par la plupart des acteurs, même si elle est considérée par certaines associations de protection de la nature comme une sorte de réserve dont l’existence servirait d’alibi pour poursuivre les aménagements ailleurs. Ce qui est certain, c’est que la mobilisation de la population et des acteurs du territoire a contribué à mettre sur la table l’attachement porté à la protection des espaces agricoles, naturels et forestiers. Le fait que cette demande soit issue d’une vaste mobilisation locale redonne du poids et de la crédibilité aux questions environnementales dès lors qu’il faut négocier à une échelle territoriale plus grande ou institutionnelle plus haute. Les questions liées à l’agriculture, la biodiversité ou au paysage, relayées par les élus locaux, sont traitées avec plus d’attention. Les décideurs doivent prendre en considération les propositions concertées avec les habitants, y compris lorsqu’il s’agit d’enjeux dits d’intérêt général comme ceux liés aux transports en commun.
Sur le plateau de Saclay, la concertation a permis de créer un espace de dialogue pour travailler collectivement sur un sujet auparavant peu abordé. Face aux projets d’aménagement et aux intérêts nationaux mis en avant, le territoire apparaissait comme un espace d’opportunité, vide d’habitants et dénué d’histoire. L’action des acteurs locaux a permis de lui redonner une existence et un intérêt stratégique.
[1] Les programmes Leader sont des programmes de développement rural soutenus par l’Union européenne.
L’origine du projet
L’association Terre & Cité a vu le jour en 2001 sous l’impulsion d’agriculteurs locaux, pour initier un audit patrimonial, un travail de recherche et d’analyse qui a montré que l’agriculture était vue par les habitants comme une caractéristique fondamentale de l’identité et de l’avenir du territoire. Depuis lors, l’association a mobilisé des élus locaux et d’autres acteurs du territoire pour une défense des espaces agricoles du plateau. Cette prise de conscience a conduit certains acteurs du territoire à se mobiliser et à créer en 2003 l’une des premières AMAP d’Ile de France : l’AMAP des Jardins de Cérès. En 2005, des membres de l’AMAP initient une Société Civile Immobilière, Terres Fertiles, pour racheter 20 hectares de terres agricoles menacées. Depuis, plusieurs exploitations ont pris la mesure de l’intérêt des filières de proximité et des démarches qualitatives comme l’agriculture biologique.
Pour soutenir ces démarches, il est indispensable d’expliquer le fonctionnement des exploitations et l’importance des terres agricoles, car les acteurs locaux n’en n’ont que très rarement conscience. Il faut pouvoir toucher des publics très variés (scolaires, étudiants, salariés des restaurants d’entreprise) et multiplier les axes d’entrée pour impliquer les acteurs locaux. Terre et Cité appuie ces dynamiques et a mis en place des actions concrètes (introduction de produits locaux en Restauration Collective, etc.) pour démontrer l’importance et la viabilité d’une agriculture de proximité.
Son objectif est d’ouvrir l’association et de permettre à tous les acteurs du territoire qui se sentent concernés par ces problématiques de construire le devenir des espaces ouverts et agricoles du plateau de Saclay.