
Concertation dans le Grand cul-de-sac marin
Concertation dans la baie du Grand cul-de-sac marin en vue de la réintroduction du Lamantin en Guadeloupe
Entre la Grande-Terre et la Basse-Terre au nord de la Rivière Salée s’ouvre la baie du Grand Cul-de-Sac Marin. Elle est délimitée dans sa partie marine par un long récif corallien (25 km de long) et dans sa partie terrestre par une ceinture de mangroves. Classée en Réserve Naturelle, elle est gérée par le Parc national de la Guadeloupe depuis 1991. La Réserve a été classée en 1993 par la convention de Ramsar en zone humide d’importance internationale pour les oiseaux d’eau et, depuis 1994, elle fait partie de la Réserve de Biosphère de l’Archipel de la Guadeloupe.
A côté de nombreuses activités économiques, principalement liées au tourisme, le territoire est également considéré comme présentant des enjeux environnementaux très forts notamment dus à la présence d’une importante barrière de corail et à une mangrove, même si cette dernière se dégrade et diminue en surface encore aujourd’hui. C’est dans ce milieu, au cours des années 2000, qu’est envisagée la réintroduction d’un mammifère marin, le lamantin.
Le Lamantin des Antilles a disparu des eaux de Guadeloupe au début du 20ème siècle. Le projet de réintroduction est porté par le Parc national et soutenu par les Collectivités territoriales de Guadeloupe, de nombreux scientifiques et plusieurs associations locales. Le succès du projet est conditionné par l’amélioration des milieux naturels et le rétablissement d’un écosystème « stabilisé », mais également par l’adhésion des riverains et des utilisateurs de l’espace, notamment des pêcheurs, des plaisanciers et des entreprises touristiques exerçant dans le secteur.
En 2008, un atelier de travail de 3 jours permet la rencontre des porteurs du projet, de scientifiques, d’agents des services de l’Etat et de quelques associations. Plusieurs autres réunions suivent, des études sont menées. En 2010, le Parc demande l’intervention d’un médiateur de la Scop DialTer pour engager une action plus structurée de concertation avec les acteurs concernés.
Les acteurs
Le nombre d’acteurs est conséquent. Une série de rencontres bilatérales avec le médiateur a précédé les réunions de concertation. Parmi les personnes et organismes impliqués, on trouve :
– les agents et les administrateurs du Parc National de Guadeloupe
– des scientifiques, notamment des membres du Conseil Scientifique du Parc
– des associations de protection de l’environnement
– des établissements publics (ONCFS, ONF, Conservatoire du Littoral) et des services de l’Etat (DIREN/DREAL, Affaires maritimes, etc.)
– des collectivités territoriales (Conseil Régional, élus locaux)
– des professionnels usagers de la mer (pêcheurs, opérateurs touristiques) et des plaisanciers.
Les craintes
Plus que des oppositions, le projet de réintroduction du lamantin suscite des inquiétudes et des doutes :
– en premier lieu sur l’utilité de la démarche. La légitimité du projet est fortement questionnée par les acteurs locaux. Certes, l’objectif avait été annoncé depuis longtemps mais pour certains, sa mise en oeuvre était à considérer dans un très long terme du fait de la nécessité d’améliorer préalablement la qualité des écosystèmes. Certains, y compris parmi les naturalistes, pensent d’ailleurs que le projet est un étendard médiatique utile, un bon prétexte pour engager des actions d’amélioration de la qualité de l’eau (traitement des eaux usées, gestion des effluents d’une distillerie, etc.) mais qu’il ne se fera probablement jamais, voire même qu’il n’est pas utile qu’il se fasse, l’effet pour l’environnement de la réintroduction de cette espèce étant très hypothétique.
– sur les possibles règlementations associées à la réintroduction du lamantin (risque d’interdiction de la pêche au filet, modifications des zones de pêche…)
– sur l’intérêt d’un projet consommant ressources financières et ressources humaines alors que d’autres projets sont délaissés ou retardés faute de moyens. Des naturalistes soulignent par exemple que d’’autres espèces animales locales sont menacées ou que les coraux se dégradent.
– sur l’absence de concertation en amont, dénoncée par plusieurs parties prenantes qui jugent la démarche précipitée. Le recours à un médiateur par le Parc, sans discussion préalable avec les parties prenantes, a été jugé inapproprié, ce qui a compliqué la mission de médiation. Des acteurs locaux se sont étonnés de cette intervention extérieure alors que pour eux, il n’y avait pas de conflit.
L’évolution du projet
Lors des réunions organisées par le médiateur, chacun a pu s’exprimer sur le projet et, selon les participants, « les échanges étaient intéressants ». Cependant, le Parc maintient le projet alors que les réserves ne sont pas levées du côté des acteurs concernés et notamment des pêcheurs, malgré le fait qu’une étude débouche sur la conclusion qu’aucune restriction de leur activité ne sera nécessaire pour assurer la survie du lamantin, ce qui apaise certaines de leurs craintes. Un comité de suivi scientifique est créé et des visites de terrain sont réalisées pour bénéficier de l’expérience d’autres pays des Antilles et d’Amérique latine. Les pêcheurs se rendent notamment à Porto Rico pour échanger avec leurs confrères sur la cohabitation avec l’animal.
Si l’objet des réunions de concertations porte exclusivement sur la réintroduction du lamantin, il n’en demeure pas moins que d’autres sujets sont évoqués, certains considérés comme plus importants par les acteurs impliqués : pollutions, surfréquentation, mouillage, braconnage, balisage.
Un bilan mitigé
Finalement, le bilan tiré de la concertation est mitigé. Le Parc estime que le médiateur a été mal introduit et sa mission mal comprise, ce qui a suscité des réactions de crispation. Certaines parties prenantes regrettent que l’utilité même du projet de réintroduction n’ait pas été discuté et estiment que la concertation visait à les faire adhérer au projet.
En 2016, deux lamantins sont importés de Singapour et élevés dans des parcs. L’un d’eux meurt de maladie peu de temps après. D’autres animaux doivent être importés dans les années suivantes, puis relâchés dans le milieu naturel après reproduction.
Cette fiche a été réalisée sur la base d’entretiens menés en 2016 par Anne Cadoret (Université d’Aix en Provence) avec des acteurs locaux concernés.