
Cohabiter avec le loup ?
Dans la Meuse, une association naturaliste tente un dialogue sur un sujet sensible en mobilisant les connaissances des éleveurs.
Depuis 2011, le loup est revenu en Lorraine, cheminant par le massif des Vosges, puis explorant la totalité du département. En 2014, une meute de quatre loups s’installe sur le massif vosgien et un ou plusieurs individus isolés commencent à coloniser les territoires de plaines.
Le loup est une espèce protégée, mais ses attaques envers les troupeaux causent des dégâts. Dans les plaines, les mesures d’effarouchement et de défense conçues pour les fermes de montagne, comme le recours aux chiens Patous, s’avèrent inadaptées. Les conflits menacent entre les représentants agricoles, les naturalistes et l’administration. Le grand public est partagé à propos de cette situation nouvelle et ce sont les positions tranchées qui dominent, suscitant des clivages sont les élus se font fréquemment l’écho.
Le dialogue pour en finir avec les oppositions stériles
Dans ce contexte tendu, l’association Meuse nature environnement souhaite assurer la protection du loup mais est également soucieuse de préserver l’élevage qui, par ailleurs, est en grande difficulté. Les administrateurs de l’association sont soucieux de comprendre la situation et d’éviter tout dogmatisme. Pour eux, la cohabitation entre le loup et l’élevage n’est pas certaine mais mérite d’être tentée. « Place au dialogue !» lance-t-elle en 2014. L’un des jeunes salariés de l’association joue ce niveau un rôle de passerelle : naturaliste, il est également issu d’une famille d’éleveurs. Pragmatique et patient, présent sur le terrain, il a les atouts nécessaires pour tenter de rapprocher les deux mondes.
L’association initie des contacts avec d’autres associations de protection de la nature et des institutions locales : la DDTM, la Chambre d’agriculture, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, le Conseil général… Les objectifs sont de coordonner les efforts des partenaires concernés, de mieux connaître les loups et les mesures d’éloignement adaptées aux plaines, de mieux communiquer auprès du grand public. Mais c’est avec les éleveurs, et notamment ceux qui sont les plus impactés par la prédation du loup, que l’association passe le plus de temps.
Son salarié rend visite régulièrement à une dizaine d’entre eux. « On début, on partait avec un handicap : on était vus comme des écolos, par nature favorables au loup ». Mais grâce à un discours modéré et un réel souci de résoudre les problèmes des éleveurs, l’association finit par créer de la confiance. « Les écolos qui veulent le retour du loup n’ont qu’à en payer les frais » s’insurge ainsi un éleveur. Mais son regard sur le représentant de Meuse nature environnement est différent : « Lui, il écoute, il comprend ».
Des organismes publics proposent des mesures de protection des troupeaux, principalement des clôtures électriques. L’association décide d’acheter des clôtures mobiles qu’elle met à disposition des éleveurs pour leur permettre de tester diverses solutions. Elle propose même l’aide de bénévoles pour les aider à les installer. Elle fournit du conseil à ceux qui hésitent entre diverses options techniques. Un éleveur concerné se dit satisfait : les clôtures sont suffisamment dissuasives.
Rechercher des solutions concrètes
Les éleveurs sont préoccupés. En premier lieu pour l’avenir de la production, en second lieu pour l’impact sur le territoire. Un éleveur note ainsi que plusieurs de ses collègues ont abandonné l’élevage de moutons. Evidemment, le contexte économique est difficile, les contraintes administratives sont croissantes et en découragent plus d’un, le métier reste exigeant. Mais les attaques de loup sont parfois la goutte qui fait déborder le vase. « Tous les matins, raconte un éleveur, je pars à six heures, je prends les chiens et je vais voir les moutons. Si j’en vois un couché à l’écart je me dis : ça y est, le loup est passé ». Il a ainsi perdu plus d’une trentaine de bêtes en deux ans, du fait d’attaques de loups solitaires, dument constatées par des experts. Des indemnités sont prévues mais elles parviennent souvent très tard. Et puis on ne fait pas ce métier pour toucher des indemnités…
L’autre inquiétude soulevée par les éleveurs, ce sont les conséquences d’un retrait de leur activité sur les paysages. Les éleveurs déplacent leurs troupeaux, notamment à la demande de propriétaires de vergers où les animaux s’occupent de débroussailler et de prévenir l’enfrichement. Si le nombre de moutons diminue, comment évolueront ces espaces, s’interrogent-ils ?
L’association Meuse nature environnement, quant à elle, s’émeut de voir des haies arrachées pour laisser place à des clôtures électriques, sous prétexte de limiter l’irruption du loup. Si le retour du prédateur se traduit de fait par une destruction des habitats naturels, le bilan laisse pour le moins les naturalistes perplexes…
L’association cherche donc des solutions en partenariat avec des éleveurs et décide de tester des « haies défensives mixtes », réalisées à partir de haies existantes le plus souvent, composées d’épineux mais aussi d’une barrière de grillage. L’objectif est d’empêcher la prédation du loup tout en préservant les arbres et arbustes qui sont de véritables sources de biodiversité dans les régions d’élevage. Un test est réalisé, qui est en cours d’évaluation.
Autre idée : introduire un âne dans les troupeaux de moutons. Les ânes gardiens, qui font face aux intrus, sont déjà utilisés pour effaroucher les chiens errants qui causent fréquemment des dégâts dans les troupeaux. Aux Etats-Unis ou au Canada, ils le sont également contre les loups solitaires et les coyotes. Un seul âne, lorsqu’il est éduqué, peut garder plusieurs centaines de brebis. Pourquoi ne pas faire un essai dans la Meuse ? Cela ne sera possible que grâce à un partenariat étroit avec les éleveurs.
L’association compte bien diffuser dans d’autres départements les résultats de ses expérimentations, afin de leur permettre d’anticiper le retour du grand prédateur. Elle observe que lorsque les mesures de protection sont efficaces et que des avancées sont constatées sur le terrain, les éleveurs ont un discours plus apaisé, même si l’inquiétude reste permanente.
Cette recherche de compromis n’est pas toujours comprise de certaines associations de protection de l’environnement prennent des positions plus tranchées en faveur du loup. Meuse nature environnement ne s’y résout pas : elle rappelle que le loup est une espèce protégée, qu’il a un rôle à jouer dans l’équilibre de la faune sauvage et qu’il ne faut pas lui faire porter toute la responsabilité des difficultés de l’élevage dans le département. Mais il n’est pas question pour autant de prendre sans nuance sa défense et de négliger les problèmes des éleveurs. Cela créerait des crispations légitimes chez ces derniers et des réactions contre-productives, notamment parmi les élus locaux qui sont sensibles aux difficultés du monde agricole. L’association estime qu’il faut avancer de façon empirique et que les débats sur cette question sont souvent trop passionnels : « On n’écoute pas assez les éleveurs, dit son jeune salarié. Ils cherchent des solutions ». Meuse nature environnement cherche avec eux…
Les acteurs
L’association MNE a engagé cette concertation avec de nombreux partenaires :
- La fédération associative lorraine (MIRABEL-LNE) qui joue un rôle de coordination des actions des associations de protection de la nature et de l’environnement du territoire et mène des actions juridiques.
- Les Directions Départementales des Territoires et les Préfectures départementales qui souhaitent concilier les enjeux agricoles et environnementaux en inscrivant leur action dans le plan national loup.
- Les Chambres Départementales d’Agriculture des Vosges et de la Meuse qui ont conduit une étude de vulnérabilité des élevages face au retour du loup.
- L’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS), organisme d’Etat qui conduit des actions dans le cadre du réseau Loup-Lynx.
- le Conseil Général de la Meuse, qui s’est clairement déclaré en 2014 opposé au retour du loup.
- La DREAL de Lorraine
Des échanges informels seront également menés avec des organisations et syndicats agricoles opposés au retour du loup.
Le rôle des éleveurs est essentiel car ils sont ceux qui vivent la situation sur le terrain et qui sont à même de donner les éléments de compréhension des forces et faiblesses de leurs systèmes d’élevages. Ils sont décisionnaires de ce qu’ils souhaitent mettre en place et ne sont en aucun cas « forcés » d’adopter telle ou telle pratique.
Sur le même sujet, voir l’initiative des éleveurs de l’association EED-Encore éleveurs demain