Oiseaux et escalade dans le Tarn

Avifaune rupestre et développement des activités de pleine nature : pour un espace partagé grâce au dialogue entre sportifs et naturalistes

Sur les falaises du Tarn, de drôles d’oiseaux tentent de cohabiter. Il y a d’un côté les vrais représentants de l’avifaune locale : le Faucon pèlerin, le Grand-duc d’Europe, le Martinet à ventre blanc, le Grand corbeau – qui se fait rare – et quelques autres encore. Ils nichent sur des parois escarpées où ils fuient l’agitation des vallées. Et il y a, de l’autre côté, des grimpeurs armés de pitons et de cordes. Ils cherchent à se dépasser et à profiter de la beauté des lieux. Chacun a des objectifs éminemment respectables, mais qui ne sont pas aisément compatibles. Les premiers sont souvent dérangés par les seconds en période de nidification, ce qui compromet la survie de leurs lignées. Ce dont s’alarment à juste titre les associations de protection de l’environnement.

Le développement de nombreux sports de pleine nature, comme le canyoning, la spéléologie ou même l’innocente randonnée suscitent des tensions du même ordre. Les mécontentements sont exprimés par les naturalistes, mais aussi par les élus locaux et les propriétaires, soucieux de leur responsabilité en cas d’accident ou alarmés par les dégradations. En effet, certains usagers tendent à considérer que « la nature » appartient à tous, qu’ils peuvent l’utiliser ou même l’aménager dans la mesure où rien ne semble l’interdire. Or, les espaces naturels sont le plus souvent des espaces privés ou gérés par des collectivités. Ils abritent également des ressources précieuses mais fragiles.

Trouver des solutions négociés à des problèmes de cohabitation

En 2007, afin de trouver des solutions à des tensions, la Ligue pour la protection des oiseaux du Tarn (LPO Tarn) engage un dialogue avec des pratiquants de l’escalade, d’abord quelques grimpeurs à titre individuel, puis leurs organisations, notamment le Comité départemental du Tarn de la Fédération française montagne et escalade (FFME). En 2009, ces partenaires décident d’engager une concertation structurée à l’échelle du département et d’y associer toutes les associations de grimpeurs.

Ils sont encouragés par le Conseil Départemental du Tarn, désireux de maîtriser le développement des activités de pleine nature. Celui-ci a mis en place la Commission Départementale des Espaces, Sites et Itinéraires (CDESI), co-pilotée par son service des sports et sa direction de l’environnement. Son objectif est de parvenir par le dialogue à un usage maîtrisé et partagé de l’espace. Elle publie des guides méthodologiques, établit des conventions, examine les demandes d’ouverture de sites aux pratiques de sports de plein air, projette de labelliser certains d’entre eux et de leur ouvrir droit à des subventions. Cet appui institutionnel s’avèrera décisif pour le succès du partenariat entre les naturalistes et les grimpeurs, mais il ne fait pas tout : il faut d’abord trouver des arrangements sur le terrain.

La LPO Tarn réalise en premier lieu un inventaire des falaises destiné à évaluer la présence et la nidification des espèces d’oiseaux rupestres. Chaque site fait l’objet d’une fiche avec photographies. De leur côté, les grimpeurs répertorient les parois fréquentées pour l’escalade. Puis, les partenaires croisent leurs données et établissent une carte qui permet d’identifier les endroits porteurs d’enjeux. Des visites sur le terrain permettent de vérifier qu’il existe de possibles difficultés. Il faut ensuite discuter des mesures à prendre : interdire l’escalade, la limiter en fonction des saisons, ne pas équiper certaines parois ou au contraire autoriser les associations de grimpeurs à le faire, informer simplement les pratiquants pour les inciter à prendre des mesures de précaution… Des formations à destination des membres des clubs d’escalade sont également mises en place.

Le dialogue plutôt que la contrainte

Pour les grimpeurs, pourquoi s’engager dans de telles discussions au risque de voir leur pratique limitée par endroits ? Conscients des tensions qui existent sur le terrain et du comportement parfois irresponsable d’une minorité de leurs membres ou de grimpeurs isolés, ils souhaitent prévenir des actions plus radicales de la part des autorités publiques, notamment des mesures de protection réglementaires. Evidemment, cela leur impose de faire des concessions. Il leur faut également inciter leurs membres à respecter les accords pris. Mais globalement, reconnaissent-ils, la concertation leur a apporté plus d’avantages que d’inconvénients. En échange de restrictions consenties, ils ont évité le recours à plus d’interdictions, limité les conflits avec les naturalistes, amélioré leurs relations avec les élus locaux.

Pour la LPO Tarn aussi, la concertation oblige à faire des concessions. « Dans une négociation, il faut savoir lâcher. Chacun doit avoir l’impression de gagner quelque chose ». Mais globalement, elle a permis de limiter la pratique de l’escalade, de façon permanente ou temporaire, sur une vingtaine de sites. Les bénéfices sont donc sensibles. Les naturalistes estiment également que la concertation permet le rapprochement entre deux mondes qui se connaissent peu et que cela pourrait contribuer à gérer d’éventuels futurs conflits, au cas où ceux-ci émergeraient dans l’avenir. Surtout, le dialogue conduit à des changements de pratiques mieux compris et acceptés, donc effectivement mis en œuvre.

Il permet aussi une sensibilisation aux questions d’environnement. C’est ainsi qu’un grimpeur a signalé des nids de rapaces qu’il avait découverts sur une paroi et a proposé de lui-même de fermer temporairement la zone à l’escalade.

La stratégie du dialogue n’est pas toujours comprise de certains protecteurs de l’environnement qui aimeraient que les associations prennent des positions plus fermes et recourent plus fréquemment aux interdictions et à la répression. Le calcul de la LPO Tarn, c’est qu’avec la concertation, les accords sont mieux respectés. A l’inverse, l’absence de dialogue dessert l’environnement en le faisant apparaître comme une source d’interdictions mal comprises, ce qui suscite des rejets. A long terme, l’environnement peut s’avérer perdant. La LPO Tarn se réserve cependant la possibilité de faire intervenir les autorités publiques si certaines décisions ne sont pas respectées. Elle se félicite de l’amélioration des relations avec les grimpeurs mais estime que le dialogue ne dispense pas d’exigence et de vigilance.

L’appui des institutions

A travers la CDESI, le Département offre un cadre institutionnel plus large : reconnaissance des accords pris dans le « Plan départemental des espaces, sites et itinéraires », accès plus facile aux subventions pour l’équipement et l’entretien de certains sites, validation facilitée par la Préfecture des autorisations d’ouverture de nouvelles parois lorsque celles-ci ont fait l’objet d’une concertation, rôle de conviction auprès des associations de grimpeurs, communication auprès du grand public, pédagogie envers des élus locaux pour les inviter à jouer le jeu de l’écoute et de la conciliation. En 2011, la « charte pour un développement maîtrisé : Escalade et avifaune dans le Tarn » mise en œuvre entre la LPO Tarn et le Comité Départemental de la FFME a été co-signée par le Préfet du Tarn, la CDESI, le Département, le Parc Naturel Régional du haut Languedoc et le club Alpin Français. Elle traduit l’avancée significative de cette démarche et sa reconnaissance par les acteurs concernés.

Les collectivités territoriales se félicitent de l’efficacité des mesures prises au terme de la concertation : respect des accords, interventions moins fréquentes de la police de l’environnement, diminution du nombre de plaintes des propriétaires. Pour les élus, la protection de l’environnement et le développement des sports de nature sont des enjeux importants pour le département : il est donc pertinent de les réconcilier plutôt que de tenter de les arbitrer.

Quelques informations

  • Type de fiche : Expérience
  • Année de début d'expérience :
    2009
  • Département concerné :
    81

Structure

  • LPO - LIGUE POUR LA PROTECTION DES OISEAUX
  • Place de la Mairie Aile du Ch teau - BP 20027
  • 81290 LABRUGUIERE
  •  
  • 05 63 73 08 38

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