Les anciens salins de Camargue

Approche participative pour accompagner le retour à la nature et développer les usages durables

Avec ses vastes étangs peuplés de flamants roses et sa végétation rase de sols salés, ce petit coin de Camargue, au sud de la ville d’Arles, donne une impression de nature. En réalité, il a été entièrement façonné durant plus d’un siècle par la production industrielle de sel. Des digues ont été levées, les niveaux d’eau maîtrisés, le sol nivelé… Dans le village de Salin-de-Giraud, plusieurs générations se sont consacrées à cette activité.

Deux entreprises ont d’ailleurs été à la source de la création du village au milieu du dix-neuvième siècle. L’approvisionnement des ouvriers, l’école ou les soins de santé étaient pris en charge par les industriels, qui offraient également des droits d’usage de l’espace : chasse, pêche, balades….

Mais ces entreprises ont fortement réduit leurs activités au cours des dernières années et une grande partie des salins a été abandonnée. L’entretien des digues n’est plus assuré et personne n’a plus les moyens de colmater les brèches qu’ouvre patiemment la mer. Le territoire entre dans un processus de « renaturation » dont il est bien difficile de dire quels seront à terme tous les effets.

Gérer des espaces en rapide évolution

Plus de sept mille hectares ont été achetés par le Conservatoire du Littoral et confiés en gestion au Parc naturel régional de Camargue en partenariat avec la station biologique de la Tour du Valat (un Centre de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes) et  la Réserve nationale de Camargue (elle-même gérée par une association naturaliste). L’objectif : éviter que ces vastes terrains idéalement situés au bord de la Méditerranée ne tombent aux mains des promoteurs ou ne soient colonisés par le camping sauvage.

L’effacement de l’action humaine et le retour des évolutions naturelles sont considérés par ces nouveaux gestionnaires comme inévitables à cause du coût que représenterait le maintien des digues, mais également comme souhaitables car pouvant profiter à terme à la biodiversité.

Ce n’est pas l’avis des habitants du village, qui craignent des évolutions naturelles qui remettraient en cause les usages existants. Une partie de la population est attachée au maintien du site tel qu’il est et ne comprend pas que les gestionnaires se résignent à en accepter la renaturation. Ils contestent la vision qui sous-tend ce choix et revendiquent leur connaissance d’un territoire qu’ils ont largement bâti et qu’ils fréquentent quotidiennement. Derrière ce débat s’affrontent des conceptions différentes. Une grande partie des habitants est attachée à une nature façonnée par l’homme et à l’idée de services écologiques rendus : chasse, pêche et promenade. De l’autre côté, les organismes gestionnaires sont inspirés par l’idée d’une nature qui existe par elle-même et mettent en avant l’importance de la biodiversité.

Formellement, les gestionnaires auraient la possibilité de mettre en œuvre le mode de gestion qu’ils désirent. Mais comment imposer à des habitants, sur un site qu’eux et leurs familles ont construit de leurs mains, des changements qu’ils ne souhaitent pas ? Pour les habitants, comment conserver une certaine maîtrise des évolutions de leur territoire sans travailler avec les organismes qui en ont la gestion ? Pour chacun, le passage en force n’est ni concevable ni réaliste. Le dialogue s’impose.

Créer des espaces d’échange

Dans ce petit bout de Camargue longtemps géré par des entreprises privées, les institutions publiques n’ont pas bonne presse. Le premier objectif du Parc de Camargue a donc été de restaurer le dialogue. Des réunions participatives ont d’abord été organisées pour parler du site et de son évolution et au bout de quelques mois, s’est constitué un petit groupe d’habitants bénévoles. Ce groupe s’est réuni régulièrement sous la conduite du Parc, avec la Tour du Valat, la Réserve nationale de Camargue, le Conservatoire du littoral, et avec la particiâtion dede l’Office du tourisme d’Arles. Il a été animé par un couple résidant sur place, indemnisé par le Parc, celui-ci étant désireux de ne pas faire intervenir de prestataire extérieur afin de faciliter l’acceptation de la démarche. Des moments de formation des habitants ont également été organisés sous l’égide de ce groupe, ainsi que des moments d’information lors des fêtes et évènements locaux. Petit à petit, le groupe s’est fait l’écho des attentes de l’ensemble des habitants et a renforcé sa capacité à formuler des projets pour le village. Le processus a également permis aux gestionnaires de préciser leurs attentes.

Pour les habitants, l’objectif principal est de créer des activités dans un village durement secoué par le recul de l’activité industrielle, en visant un tourisme vert basé sur la protection de l’environnement. Ils souhaitent valoriser l’histoire humaine de ces populations qui sont venus pour travailler le sel et le patrimoine bâti, notamment les bâtiments en briques inspirés des corons du Nord de la France. Enfin, ils revendiquent un rôle de « sentinelles » : du fait de leur présence sur place, ils peuvent alerter sur les évolutions du milieu. Pour les gestionnaires du site, l’objectif est de faire des choix qui soient compris par la population et qui seront respectés. Les enjeux naturalistes résident dans les massifs dunaires, les milieux lagunaires, les habitats côtiers. Les gestionnaires reconnaissent que la renaturation rend l’évolution du site difficilement prévisible, ce qui pose problème pour certains usages comme la balade ou la pêche. Le fait de mettre sur la table ses besoins, ses craintes et ses doutes contribue progressivement à l’instauration d’un climat de confiance.

Après deux ans de dialogue, deux projets ont été imaginés et mis en œuvre par le groupe de concertation. Le premier est un itinéraire de découverte du patrimoine du village de Salin-de- Giraud, le second est un sentier de découverte destiné aux vélos et aux cavaliers. L’un des enjeux du projet, qui consiste à faire en sorte que les habitants se mobilisent pour le site des anciens salins, est donc en bonne voie. Sans concertation, il est probable que ceux-ci se seraient désintéressés de cet espace dont ils s’estimaient dépossédés et que se seraient alors développées des pratiques d’appropriation privée comme le camping sauvage. Pour autant, les uns et les autres convergent-ils sur l’avenir souhaitable du site ? Sans doute pas. Ce qui est certain, c’est qu’un dialogue a pu s’établir sur ce sujet, que les positions des uns et des autres ont pu s’exprimer et que des réalisations voient le jour. Le Parc estime être désormais considéré comme un gestionnaire légitime des anciens salins, ce qui n’était pas le cas avant le début de la concertation. Il le doit à ce petit groupe d’habitants qui a joué les médiateurs et à sa propre capacité d’écoute.

Peut-on se passer de concertation ?

D’ailleurs, aurait-pu faire autrement ? Pour le Parc, un recours autoritaire à la règlementation n’aurait pas été possible dans ce cas parce que la volonté des élus locaux est d’intégrer économie et écologie plutôt que d’avoir recours aux interdictions lorsque ce n’est pas nécessaire. Un Parc a pour objectif d’assurer la coexistence de l’homme et de la nature, pas de préserver la nature aux dépens de l’homme. Plus que dans la contrainte, la solution réside dans un plan de gestion concerté à haute valeur environnementale.

Pour les naturalistes de la Tour du Valat, la plus-value de la concertation est de faire comprendre des choix de gestion et si possible de les co-construire afin qu’ils soient compris et respectés. Les politiques de préservation de l’environnement sont trop souvent vécues comme antagoniques avec les objectifs économiques, ce qui nuit à leur acceptation. Il est donc nécessaire de discuter plutôt que d’imposer. Certes, le dialogue peut conduire à de fades compromis lorsque les rapports de force ne sont pas équilibrés, notamment quand les acteurs de l’environnement ne sont pas suffisamment compétents ou nombreux face aux acteurs économiques. Il peut aussi s’avérer peu efficace lorsqu’il est bâclé ou mené par des animateurs sans expérience ou sans connaissance du territoire. Mais ces difficultés sont surmontables. « Il faut accepter la négociation » concluent les gestionnaires, qui font le choix de cheminer plus lentement mais plus sûrement.

Quelques informations

  • Type de fiche : Expérience
  • Année de début d'expérience :
    2013
  • Département concerné :
    13

Structure

  • Parc Naturel Régional de Camargue
  • Mas du Pont de Rousty
  • 13200 Arles
  •  
  • 04 90 97 10 40

A propos de cette fiche

  • Pour en savoir plus, consultez la monographie.

    Cette fiche est extraite du livre »Concertation et environnement : les acquis des expériences locales ». Comédie, 2017. Voir la Bibliographie