Recherche de consensus autour d’une réserve de pêche

En Méditerranée, des pêcheurs, des plongeurs et d'autres usagers de la mer imaginent la gouvernance partagée d'une zone protégée.

 

En bordure des côtes méditerranéennes, près de Saint-Raphaël, au large de l’Estérel et de ses massifs rosés, s’étend une zone de pêche sur laquelle 26 pêcheurs professionnels exercent leur activité. Comme le veut une pratique qui remonte au Xème siècle, les pêcheurs en Méditerranée française s’organisent en prud’homie, c’est à dire une organisation de pêcheurs professionnels qui assure collectivement la gestion d’un territoire de pêche. Cette gestion peut s’incarner par des règles sur les engins de pêche autorisés ou non, la dimension des mailles des filets pour éviter de pêcher des poissons trop jeunes, ou encore une rotation entre les pêcheurs sur les zones les plus poissonneuses.
Le massif de l’Estérel étant déjà inclus dans un site Natura 2000, et pressentant que les mesures de gestion des ressources naturelles allaient progressivement s’étendre au domaine marin, les pêcheurs de la prud’homie de Saint-Raphaël décident, en 2003, de prendre les devants. Et de créer un cantonnement de pêche de 445 ha, au sein de leur territoire de compétences. Cette réserve a une vocation somme toute assez simple : permettre aux poissons et autres espèces de se reproduire, de grandir, puis de quitter la zone, favorisant ainsi le renouvellement de la ressource marine et la protection des stocks de poisson.

 

Sensibilisation et science participative

Une vocation simple mais qui ne se suffit pas à elle-même. En effet, sans surveillance, suivi scientifique ni communication, un cantonnement de pêche peut difficilement être fonctionnel et efficace. Or, de par la particularité d’avoir été initiée par les pêcheurs, et non pas par l’État ou la collectivité locale, cette réserve ne dispose pas du statut d’aire marine protégée, ce qui implique qu’aucun gestionnaire n’est désigné et il n’existe pas de plan de gestion. En d’autres mots, pas de moyens pour suivre les effets de ce cantonnement et sensibiliser les usagers à sa présence.

Pour remédier à cela, les pêcheurs décident de s’entourer, et font appel à l’association Planète Mer pour mener une réflexion en vue d’élaborer un projet sur l’avenir de ce cantonnement. Ils sollicitent également une équipe de chercheurs de l’université Sofia Antipolis de Nice, pour les appuyer dans le suivi scientifique de la zone. Un programme d’action, qui durera deux ans (2012 – 2014), est alors initié. Un objectif majeur est de surveiller le secteur, pour éviter le braconnage, et sensibiliser les visiteurs par des panneaux en bord de côte et la distribution de flyers. Les pêcheurs participent directement à ces opérations, ce qui permet de mieux faire passer les messages, puisqu’ils expliquent eux-mêmes les raisons de la création de ce cantonnement. Dans un deuxième temps, la ville de Saint-Raphaël reprendra ces activités de surveillance, puisque, 10 ans après sa création, le cantonnement reste mal connu.

Parmi les utilisateurs fréquents qui sont recensés sur la zone, se trouvent les clubs de plongée. En effet, cet endroit est connu comme un spot de plongée sous-marine important. Émerge alors l’idée de les mobiliser et de leur proposer une implication concrète, à savoir, participer au recensement et au suivi de l’évolution des différentes espèces de poissons dans la zone du cantonnement. Le partenariat avec l’équipe de recherche permet de créer des protocoles scientifiques simples pour recueillir des données qui sont ensuite traitées par les scientifiques. Un premier pas vers une implication dans la gestion du cantonnement.

 

Vers une gestion partagée

Les pêcheurs, tout en souhaitant garder une place centrale dans la gouvernance future de ce site, reconnaissent qu’ils ne peuvent en porter seuls la gestion. Passée cette étape de sensibilisation, d’information et de suivi, il faut donc aller plus loin. La concertation devient alors nécessaire pour construire les voies les plus satisfaisantes pour tous. La réalisation d’une étude a permis d’esquisser les modalités de gestion les plus adaptées à ce cantonnement, et met en avant la pertinence, dans ce cas, d’un modèle de co-gestion. Il faut comprendre cette notion comme un processus de gestion partagée et coopérative, où les pêcheurs (ou leurs organisations) conservent un pouvoir de décision, tout en le partageant avec les institutions locales et les autres utilisateurs des ressources halieutiques.

Pour le cantonnement de pêche, il s’agit donc d’associer à la réflexion les pêcheurs professionnels de la prud’homie de Saint-Raphaël mais aussi ceux de la prud’homie de Cannes, les scientifiques, les centres de plongée, les collectivités territoriales et les services de l’État concernés et les associations d’usagers pour impliquer chaque acteur dans la vie du cantonnement et son évolution.

C’est dans cet objectif qu’est organisée une restitution des actions de sensibilisation et de suivi scientifique, auprès des acteurs cités précédemment. La participation est importante et les discussions font apparaître que les problématiques posées pour le cantonnement du Cap Roux, se retrouvent dans d’autres zones de ce secteur en termes de gestion de la ressource. Le cantonnement du Cap Roux, en proposant un modèle de gouvernance basé sur les principes de co-gestion, servira donc de test, qui pourra être ensuite éventuellement transféré sur d’autres zones (notamment Natura 2000). Cette démarche de construction de nouvelles modalités de gestion et de gouvernance entre les acteurs concernés est actuellement en cours. L’implication dans sa gestion des différents acteurs utilisateurs de la zone est apparue ici comme une nécessité, les pêcheurs ne pouvant garantir seuls le respect des règles pour la protection de la ressource.

La démarche de concertation est donc incontournable, et ce, afin de garantir, tel que cela avait été voulu dès le départ, un équilibre entre protection de la ressource, activité de pêche professionnelle mais également activités de loisir sur ce site d’exception. Comme l’exprime à juste titre l’un des pêcheurs de la prud’homie « de la différence naît la richesse ; de la discussion et du dialogue naissent les solutions ». Même s’il convient que les points d’accord ne sont pas toujours faciles à trouver, il reste convaincu que seule la recherche de consensus permettra d’avancer afin que la nature et la mer y trouvent un intérêt.

Quelques informations

  • Type de fiche : Expérience
  • Année de début d'expérience :
    2015
  • Département concerné :
    13

Structure

  • Planète Mer
  • 137 avenue Clôt Bey
  • 13008 Marseille
  •  
  • 04 91 54 28 74

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