5. Le dialogue des savoirs

Sciences, expertise, savoirs d’usages… de quoi parle-t-on ?

Les sciences

Les sciences diffèrent les unes des autres par leurs objets, leurs méthodologies, leurs critères de validation, mais elles ont en commun de construire des connaissances par l’organisation collective des controverses scientifiques. Une proposition scientifique n’acquiert le statut de connaissance qu’à la suite d’un long examen par des pairs, lequel s’effectue à la lumière des travaux historiques et contradictoires effectués par d’autres scientifiques sur ce même objet.

L’exposé de leur démarche de travail par les scientifiques (hypothèses de départ, cadre théorique d’analyse, méthodes et limites de traitement des données…), est indispensable pour la crédibilité des résultats et des conclusions de leurs travaux dans leur champ disciplinaire.

La fiabilité scientifique est compromise si les travaux des scientifiques ne sont plus mis à l’épreuve de la discussion critique de leurs pairs, que ce soit pour des raisons de spéculation commerciale (dépôt de brevet) ou de pressions de partenaires (publics ou privés) pour l’obtention rapide de résultats.
Les sciences génèrent ainsi des connaissances fiables, mais qui sont incomplètes, jamais figées, et qui donnent lieu à de nouvelles interrogations, dont les chercheurs s’emparent.

L’expertise

L’expertise peut s’appuyer sur des connaissances scientifiques mais aussi juridiques, médicales, administratives, professionnelles, empiriques etc. L’étymologie du mot « expert » rappelle que la compétence de ce dernier se fonde avant tout sur un savoir-faire, acquis à force d’expérience : l’expertus latin, tiré du verbe experiri, est celui « qui a fait ses preuves, qui a de l’expérience, qui est habile » (Calafat, 2011).

Alors que le rôle du scientifique dans la Cité est de partager un état des connaissances et des incertitudes dans son domaine de compétences, le rôle de l’expert est plutôt requis pour donner un avis sur une action à entreprendre ou une décision à prendre. L’expert n’est pas là pour éclairer un problème dans sa globalité ni pour inviter au doute, mais pour mettre ses compétences au service d’une situation précise.

De la reconnaissance sociale des connaissances scientifiques ou techniques des experts est née la notion d’expertise, entendue comme le recours à une analyse compétente dans des situations contentieuses ou incertaines. Dans ce contexte, les processus de légitimation des compétences expertes, ainsi que les conditions de sollicitation d’une expertise appellent à des règles formalisées et transparences pour éviter des conflits d’intérêts.

En outre, tout expert va adosser son avis à des connaissances, mais qu’il va sélectionner selon sa lecture des enjeux, et transposer à la situation qu’il a en charge d’expertiser. D’où l’importance de ne pas limiter l’expertise à la sollicitation d’un bureau d’étude, d’un représentant administratif, ou d’une personne spécialiste, mais de concevoir l’expertise comme une démarche collective, s’appuyant sur une pluralité d’experts.

Savoirs locaux, savoirs d’usage…

Jusqu’aux années 1980, les savoirs élaborés en-dehors d’un cadre scientifique n’étaient pas envisagés comme des savoirs. Certes, agronomes, anthropologues ou géographes recueillaient dans différents pays des connaissances auprès de paysans, de pêcheurs, de pasteurs nomades ou d’autochtones amérindiens, mais ces personnes étaient considérées comme des « informateurs », pas comme des détenteurs de savoirs à part entière. Les premiers travaux d’ethnosciences, ainsi, à la même période, que les acteurs du développement endogène et de l’auto-gestion des paysans, démontrent que ces connaissances non scientifiques constituent des savoirs à part entière. Ces connaissances permettent en effet de donner sens à des informations et des événements hétérogènes, de construire une représentation du monde cohérente, et de guider l’action.

La terminologie désignant ce type de savoirs est hétérogène et varie d’un secteur, d’un pays et d’une époque à l’autre : les acteurs des politiques publiques et de la démocratie participative utilisent souvent le terme d’expertise d’usage ou citoyenne. Dans le champ environnemental et territorial, on rencontre plutôt les termes de savoirs vernaculaires ou savoirs locaux. Cette dernière appellation se prête bien à la désignation de savoirs ruraux relatifs aux espaces et aux ressources naturelles. Dans tous les cas, ces savoirs ont la spécificité d’être peu énoncés, mis en discours, car ils sont avant tout « exercés », c’est-à-dire mis en pratique dans un contexte socioécologique donné.