La concertation, c’est un marchandage entre des groupes d’intérêts, les plus forts peuvent s’imposer et l’intérêt général est alors perdu de vue

Cette objection est très pertinente.

La création de groupes locaux d’acteurs agissant comme des lobbies et s’appropriant le droit de gérer ou édicter des règles concernant des biens communs en excluant les intérêts d’autres parties constitue une sorte de confiscation et représente un risque. En outre, le poids de certains de ces acteurs au sein des espaces de dialogue, s’il n’est pas tempéré, peut conduire à des accords qui leur soient démesurément favorables.

Une réponse méthodologique

Il y a plusieurs façons de prévenir ces risques :

1. Assurer la transparence du processus de concertation : organiser des réunions publiques, diffuser toute l’information qui y est produite, rendre compte des décisions, etc…

2. Rester inclusif : prévoir des moments ouverts à tous (même si des ateliers sont également organisés avec un plus petit nombre de participants), informer la presse locale de l’organisation de la concertation (durée, objectif, modalités), ne pas exclure d’office certains participants y compris ceux qui sont peu coopératifs, prévoir différents modes de participation notamment en ligne…

3. Veiller à que soient représentée une diversité d’intérêts, même si cela rend plus difficile le dialogue… Pour cela, ne pas hésiter à faire un travail préparatoire d’identification des acteurs concernés et notamment des usagers concernés.

4. Veiller à la présence d’acteurs soucieux de l’intérêt général : des représentants de l’Etat, des élus, de simples citoyens, un garant extérieur…

5. Pour gérer les inégalités dans les rapports de force, créer un cadre et le faire valider par les participants, assurer en particulier le respect et l’écoute de chacun, la transparence des documents produits, etc.

6. Dans le même objectif, bien faire valider le rôle de l’animateur et notamment sa neutralité (ou son impartialité) lors des débats. Il est possible par exemple, lors d’entretiens individuels préalables aux réunions, de bien expliquer à chacun que le rôle de l’animateur consistera à ce que chacun puisse participer et être écouté, quelle que soit sa représentativité ou son statut.

7. Rester conscient que si les rapports de force sont manifestement trop déséquilibrés, il est préférable de ne pas se lancer dans ce qui pourrait devenir un simulacre de concertation. Cependant, il est complexe de juger a priori des rapports de force et ceux-ci ne s’apprécient en aucune façon par le statut ou la représentativité des protagonistes, mais plutôt par les pouvoirs qu’ils détiennent : pouvoir de décision, pouvoir de mobiliser la population, expertise, connaissance du terrain, écho dans les médias, créativité…

Une réponse politique

Cette question peut aussi prendre un tour plus politique et renvoyer la formation de l’intérêt général. Traditionnellement, en France, on considère qu’il existe un intérêt supérieur à celui des individus et qui est énoncé par la puissance publique (l’Etat ou les élus locaux). Cette idée a été formalisée par Jean-Jacques Rousseau en 1762 dans son ouvrage « Du contrat social ».

Or, aujourd’hui, cette légitimité des acteurs publics à énoncer l’intérêt général est contestée et une multitude d’acteurs se sentent légitimes pour le faire. La crise de confiance entre élus et société est à l’origine de ce changement, ainsi que le retrait de l’Etat et l’affaiblissement de ses moyens.

Pour certains, l’intérêt général se construit désormais grâce à une délibération entre des acteurs divers, dont les représentants de l’action publique. C’est l’idée de « démocratie délibérative » qui permet de repenser la construction de l’intérêt général : la légitimité d’une décision repose sur la manière dont la décision a été prise, et non plus sur celui qui l’a prise. Plusieurs principes font la qualité de cette délibération : son caractère inclusif (elle n’exclut personne), l’égalité entre les personnes (les propos ont la même importance, quelle que soit le statut ou la représentativité de celui qui les énonce) et la transparence. Le philosophe Jurgen Habermas a notamment contribué à développé cette idée (voir l’article de Dicopart sur la démocratie délibérative ou sur la qualité de la délibération).