La bonne démarche, c’est de faire avec les gens de terrain

Entretien avec Josette Leroy

 

Josette Leroy a été Maire de Saint Victor sur Arlanc (Haute Loire). Elle a notamment impulsé un inventaire participatif des zones humides sur la commune. Voir également cet entretien en vidéo.

 

Pour moi, la bonne démarche, c’est de faire avec les gens de terrain. Car ce sont eux qui vivent et voient les évolutions : ce qui est en train de se passer et ce qui est en train d’être détruit. Il vaut mieux prendre le temps de faire travailler les gens et de le leur faire découvrir par eux-mêmes.

Je suis dans une région où l’eau du réseau a été installée dans les années 1960. J’ai pris le temps de lire les anciens comptes-rendus municipaux pour voir ce qui se faisait. Jusque-là, il y avait une protection de l’eau et des puits. Par exemple, des précautions avec le pacage des moutons ou des oies autour des puits. Et puis l’eau est arrivée au robinet et on n’a plus fait attention à rien. On n’a plus fait attention aux ressources, à ce qu’on avait sur place.

C’est vrai que je buvais de l’eau de source à l’époque. J’ai fait des examens et il y avait un tel niveau de nitrate que ce n’était plus potable. J’ai eu envie de faire bouger les choses. Parler des nitrates avec les gens, c’est compliqué. C’est quelque chose qui ne se voit pas, qui n’a pas d’odeur, qui n’a pas de couleur. On ne peut pas se rendre compte des conséquences sur la santé. Je ne l’ai pas dit, mais professionnellement, j’étais dans le domaine de la santé.

Dans un premier temps, je voulais qu’on puisse dire ce qu’on voit, ce qui nous semblait dangereux. À mon niveau, je ne peux pas faire grand-chose. Je voulais savoir s’il pouvait y avoir une réglementation qui protège. Ainsi, sensibiliser sur l’invisible et préserver la santé.

Avoir un mandat politique, ça m’a permis d’être volontaire en ce qui concerne le repérage des zones humides, de faire le point et de protéger ces secteurs-là. Ça a été un travail extrêmement riche. Car même en connaissant la commune, on arrive à découvrir des pentes et des points d’eau. Ça n’avait jamais fait tilt, avant. On a réussi à en faire une carte, ce qui permet de voir le départ du bassin versant.

Découvrir et comprendre notre territoire

Je me souviens d’images qui sont quand même impressionnantes. Découvrir que, quand vous plantez un bois de résineux, type épicéa, et bien le tout petit cours d’eau qui est en dessous devient complètement mort. Plus une herbe ne pousse. D’ailleurs, on est allé chercher les anciens. On discutait assez librement et il y a un qui a dit « Bien sûr, il n’y a plus rien, il n’y a plus d’herbe, il n’y a plus de fleurs, donc il n’y a plus d’insectes et il n’y a plus de truites ». Ils avaient le souvenir d’être aller pêcher dans ce ruisseau. Et eux, en ramassaient des truites pour les manger, bien sûr !

Quand on a fait ce travail, il y a des agriculteurs qui sont venus. D’ailleurs, il y en a un qui, aujourd’hui a fini son activité et a pu céder toutes ses surfaces à quelqu’un qui travaille en bio. Une fois qu’on sait, on peut mettre des règles ensemble. Ils nous ont raconté ce qui avait changé. Par exemple, ils nous ont expliqué ce qui s’est passé avec la mécanisation. Pour passer les moissonneuses, les champs n’étaient pas assez larges à cause des haies et des pommiers. Ils ont dû faire sauter ces haies pour passer. Avant, ils avaient des systèmes pour bloquer l’eau. Ils avaient des techniques de travail liées à l’expérience. Ils ont dû changer pour s’adapter. Maintenant, sur un terrain en pente et qui est à nu, quand il y a des gros orages, l’eau ruisselle et descend. Et ça, eux comme nous, on le voit. Je pense honnêtement qu’une jeune génération arrive et voit autrement. Comme dans les années 1940, il y a un conflit entre les jeunes et les vieux.

Je ne sais pas ce qu’on a réussi à mettre en œuvre, mais je crois qu’on ne peut que passer par la sensibilisation sur le terrain. D’ailleurs je pense, que sur la commune, les zones humides sont rentrées dans la tête des gens. Il a fallu dire : « Nous on est au début [du bassin versant], donc si on pollue, ce sont les autres, derrière nous, qui ramassent tout ».  Ce n’était pas visible aux yeux de tous. C’est ceux qui sont d’un certain âge qui ont pu dire ce qu’il y avait avant. Il s’est donc passé quelque chose. Il y a une logique par rapport au sol qui est en train de disparaître.

Une démarche volontaire et participative

Il n’y a pas eu de conflit, mais on n’a aucun moyen pour interdire. Du coup, on a fait une démarche volontaire et participative, sur le recensement des zones humides. Lors de ces réunions, j’ai vu des gens qui avaient la même vue, mais de là à pouvoir prendre des décisions sur les secteurs privés…! On ne peut pas imposer, mais il faut sensibiliser sur le terrain, faire comprendre et motiver. Ce n’est pas parce qu’il y a des subventions qu’il faut agir. La question est : est-ce qu’on en a vraiment besoin ? Car c’est le danger qui fait bouger.

Des oppositions ? Certains n’ont pas été volontaires [pour réaliser cet inventaire des zones humides], mais ne nous ont pas empêchés de le faire.

Il ne faut pas dire « C’est comme ça. » C’est comme avec les enfants. Il faut prendre le temps d’expliquer et apprendre aux gens à chercher par eux-mêmes. Prendre le temps de dire pourquoi. Car ce sont eux qui réfléchissent, ce sont eux qui font la démarche et ce sont eux qui seront d’accord avec les résultats. Leur faire découvrir et leur faire voir sur le terrain, ça peut changer les choses. Il faut que ça vienne de la base. On voit qu’il y a des gens que ça intéresse. Dans les ateliers, ça a permis d’écouter ce que pensaient les autres. Il faut une certaine méthode pour faire parler, donner un avis, prendre le risque d’une opposition.

Quelques informations

  • Type de fiche : Entretien