
Mobilisation des habitants pour préserver les hippocampes de la lagune de Thau
Une éxpérience de science participative
Séparée du Golfe du Lion par un cordon de sable littoral, la lagune de Thau est un territoire intermédiaire, entre terre et mer, d’une grande richesse paysagère et écologique. Tantôt les parcs à huitres, tantôt les oiseaux marins, ponctuent la surface huilée de cette petite mer bleue. Cette ressource naturelle a favorisé l’installation d’activités artisanales, notamment l’ostréiculture et la mytiliculture. Ces cultures sont facilitées par la diversité et l’abondance du phytoplancton dont se nourrissent ces mollusques. Cette abondance est due à des eaux moyennement profondes, chaudes et au faible mouvement de ces eaux.
Au cœur de ses 7500 ha qui s’étendent entre Agde et Frontignan, l’étang de Thau abrite, en outre, une diversité biologique exceptionnelle. Parmi celle-ci une population d’hippocampes. Ces petits chevaux marins, dont le devenir inquiète les scientifiques dans le monde entier, ne sont pourtant pas très connus ni étudiés. Peu d’informations étaient synthétisées sur leur biologie et leur écologie. C’est le constat réalisé par Peau-Bleue, une association de plongeurs à caractère scientifique et naturaliste qui a pour objectif de mieux connaître – et faire connaître – la diversité biologique et écologique des milieux aquatiques, marins ou d’eau douce. Cette association lance alors l’idée de sensibiliser le public à la fragilité de cette espèce et d’acquérir des données sur ces populations. Pour contribuer au suivi des hippocampes, un projet de sciences participatives est initié en 2005 par Peau-Bleue, et porté depuis 2008 par le réseau CPIE Bassin de Thau (dont Peau-Bleue est membre). Il porte le nom d’Hippo-THAU.
La concertation comme nécessité
Le contexte local implique une nécessaire concertation. En effet, la lagune languedocienne de Thau représente un espace économique important regroupant différents usages : pêche artisanale, conchyliculture (10% de la production française), tourisme et population résidente en augmentation constante. L’approche centrale du projet Hippo-THAU consiste également à impliquer directement certains « publics-cibles » dans la recherche d’informations afin de mieux les sensibiliser et d’augmenter la richesse des données collectées.
La diversité des acteurs impliqués dans ce projet est, de ce fait, très importante. On y retrouve bien évidemment des structures membres du CPIE telles que l’association Peau-Bleue, l’ardam, l’école de plongée Odyssée, la Ligue pour la protection des oiseaux de l’Hérault, le Comité Régional de la Conchyliculture en Méditerranée et la Prud’homie de pêche des lagunes de Thau et d’Ingril. Au delà de ce premier cercle, d’autres partenaires de terrain sont mobilisés notamment des centres de plongée, la Fédération Française d’Etudes et de Sports Sous-Marins ou encore des établissements scolaires. Et pour compléter cette approche de terrain, un comité scientifique apporte une expertise sur les méthodes de collecte et d’analyse statistique.
L’intérêt fort de cette démarche résulte donc dans le fait de fédérer des acteurs issus de secteurs et domaines professionnels (recherche, enseignement, professionnels de la lagune, habitants, environnementalistes…) très différents mais qui sont tous concernés par cet espace fédérateur que représente la lagune de Thau.
Un programme de suivi scientifique participatif
Différents suivis sont mis en œuvre afin de collecter des données complémentaires sur les espèces, leurs habitats et d’impliquer l’ensemble des usagers du territoire.
Tout d’abord des études scientifiques sont réalisées en plongée sous-marine avec la participation de plongeurs bénévoles. La stratégie scientifique définie vise à décrire et comprendre les variations saisonnières, spatiales et interannuelles de densité des populations. Un groupe de plongeurs bénévoles, membres de l’association Peau-Bleue et présents dès le démarrage du projet, réalise ainsi régulièrement des recueils de données. Des sorties à destination des plongeurs amateurs, auxquelles participent entre 10 et 20 bénévoles qui viennent parfois de loin, sont également organisées 3 à 6 fois par an. Une formation en salle leur permet d’acquérir les bases de reconnaissance des différents hippocampes et de connaître leur habitat. Puis le groupe part en plongée, avec l’animatrice du CPIE Bassin de Thau, muni d’une fiche qui permet de collecter les informations. Ils sont ensuite incités à retranscrire les données via un site internet, dédié au projet et accessibles à tous (www.observatoire-hippocampe.fr), qui compile toutes les observations faites par les bénévoles et scientifiques. Ils peuvent ensuite reproduire cette démarche lors de leurs plongées autonomes. Ces sorties permettent aussi de communiquer sur la biodiversité du bassin de Thau. De cette façon, une cinquantaine de plongeurs bénévoles participent chaque année à ce suivi scientifique. Selon l’animatrice du CPIE, « la participation des plongeurs bénévoles permet de démultiplier les sources d’observation », même si « les plongeurs ont tendance à ne remplir une fiche que lorsqu’ils observent quelque chose alors que la donnée 0 est importante aussi ».
Au-delà de ces études in situ, l’idée est de mobiliser les savoirs des professionnels de la lagune sur l’hippocampe, qu’ils sont amenés à retrouver dans les filets ou les cordes. Des enquêtes ont été conduites auprès des pêcheurs et conchyliculteurs. Dans l’optique d’impliquer l’ensemble des habitants du secteur, ce sont les enfants des écoles riveraines qui ont réalisé ces entretiens. Suite à une formation en classe, les enfants sont allés interroger directement les usagers du Bassin de Thau sur leurs connaissances des hippocampes de la lagune. De la même façon que pour les plongeurs, l’idée est que les pêcheurs et conchyliculteurs, seuls acteurs présents toute l’année sur la lagune, renseignent ensuite de façon autonome des fiches d’observation sur les hippocampes trouvés lors de leurs prises.
Le suivi scientifique du projet est mené en lien avec un laboratoire de l’université de Montpellier. Le comité scientifique, auquel participe un représentant du groupe de plongeurs bénévoles, se réunit une fois par an. L’ensemble des données recueillies par les différents participants est intégré au programme de recherche qui donne lieu à un bilan annuel dont une synthèse est rédigée et diffusée aux participants.
Grâce au travail réalisé, le projet Hippo-THAU est cité par la presse et la télévision. En outre, des actions de communication et de sensibilisation sont organisées par le CPIE Bassin de Thau à travers des conférences proposées au grand public.
Diffuser, valoriser, communiquer : une exposition itinérante inédite
Le travail de longue haleine réalisé par le réseau CPIE du Bassin de Thau et ses partenaires, ainsi que la mobilisation forte agrégée autour de ce projet, donne une envergue singulière aux résultats obtenus.
Dès 2012, les acteurs du projet réfléchissent à la manière de valoriser les données recueillies grâce à Hippo-THAU, mais également de mettre en avant cette dimension participative du projet. Les 10 années d’antériorité de récolte et d’analyse de données ont permis la réalisation d’une exposition inédite : l’Exposition Hippocampe (www.exposition-hippocampe.fr). En plusieurs modules, elle présente la biodiversité des hippocampes de Thau, la présence des hippocampes dans le monde et plus largement la biodiversité de l’étang de Thau. Un volet spécifique est consacré à l’histoire de ce programme participatif et met en avant le rôle des plongeurs, conchyliculteurs, pêcheurs, scientifiques, enfants … ayant participé au programme. Cette exposition de 100m², inaugurée en 2015, a déjà été présentée à Sète, Marseillan et sur l‘île des Embiez, à l’occasion des 50 ans de l’institut Océanographique Paul Ricard (membre du comité scientifique). Elle poursuit son itinérance nationale et sera prochainement présenté en région parisienne. Une façon concrète de valoriser le travail important fourni par les nombreux bénévoles mobilisés sur le projet, mais également par les partenaires financiers locaux qui se sont engagés sur ce projet*.
Le projet Hippo-THAU regroupe tous les acteurs ayant une connaissance et un contact avec cet animal marin, dans un souci de recueil constant d’information. L’avantage de l’approche participative est que « comme on multiplie les heures d’observation, on recueille beaucoup plus de données. Si le programme n’était pas participatif, il serait terminé depuis longtemps car les laboratoires n’ont pas le temps de faire autant de plongées » témoigne l’animatrice du CPIE. Il y a donc une vraie démultiplication des forces, et ce au bénéfice d’une meilleure connaissance, et donc protection de l’espèce. A travers l’hippocampe, animal emblématique du milieu lagunaire, il s’agit également de sensibiliser les publics à la fragile diversité de l’écosystème et la nécessité de le préserver.
L’expertise acquis par le CPIE Bassin de Thau avec Hippo-THAU lui a permis de mener un travail de concertation à l’échelle de la façade méditerranéenne sur la place de la science participative. Aujourd’hui l’association coordonne un réseau régional, Sentinelle de la mer Occitanie, qui regroupe plusieurs programmes de sciences participatives liés à la mer, aux lagunes et au littoral de la région Occitanie dans l’objectif de donner plus de visibilité à ces initiatives et de faciliter l’action du citoyen observateur via une plateforme web (www.sentinellesdelamer-occitanie.fr).
* Agence de l’eau, la Région Occitanie, le Département de l’Hérault, la communauté d’agglomération du bassin de Thau, et les communes du territoire (Marseillan, Bouzigues, Sète, …), DREAL Occitanie, l’Agence des aires Marines Protégées (nouvellement AFB) ainsi que de nombreux partenaires privés.